Le 26 octobre dernier, la première conférence de l’année organisée par l’association étudiante ECIA Panthéon-Sorbonne, une organisation qui souhaite promouvoir la culture ibéro-américaine a eu lieu au Centre Panthéon.
Par Sylvie Argibay
L’ambiance était au rendez-vous, une centaine d’étudiant.e.s étaient présent.e.s. À cette occasion, l’association basée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a eu l’occasion de recevoir un invité d’exception, Olivier Dabène, professeur de science politique à l'Institut d'Études Politiques de Paris (Sciences Po), chercheur au Centre de recherches internationales et président de l’Observatoire Politique de l’Amérique Latine et des Caraïbes de Sciences Po. Il s’agit d’une personnalité très connue par les jeunes politistes latino-américanistes.
Aux alentours de 18h, la conférence démarre. Olivier Dabène introduit son propos en soutenant que l’élection présidentielle brésilienne représente un événement global. Le résultat du second tour aura une répercussion importante sur le plan des relations internationales à l’échelle mondiale. Pour les élu.e.s, Lula Da Silva représente un interlocuteur privilégié, revendiquant des valeurs démocratiques, aux antipodes de son rival, Jair Bolsonaro, remettant en cause la fiabilité du vote électronique.
L’essor du bolsonarisme : discrédit des partis traditionnels et accentuation d’un virage conservateur
Le politologue Olivier Dabène a commencé par revenir sur des événements historiques pour expliquer l’essor du bolsonarisme. L’arrivée de l’extrême droite populiste au pouvoir, en 2019, au Brésil, n’est pas un événement unique puisqu’il intervient peu après l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Le discrédit du Parti des Travailleurs (PT), dès la fin du mandat de Lula, explique également le succès électoral de Bolsonaro. Dilma Rousseff lui succède en 2011, avec une situation économique mauvaise du fait de l’essor d’une crise économique mondiale. Les protestations étudiantes contre la hausse du prix des transports publics se font de plus en plus ressentir. Dilma Rousseff est très vite accusée de ne pas savoir gérer la situation, d’autant plus que les stéréotypes de genre sont fréquents dans le champ politique brésilien. Malgré un contexte de plus en plus hostile au PT, Dilma Rousseff gagne les élections présidentielles de 2014 pour un second mandat. Très vite, la droite dure conteste le résultat de l’élection et accuse le PT d’avoir fraudé. En 2016, une procédure d’impeachment est lancée contre la mandataire qui aboutira à sa destitution le 31 août 2016 pour maquillage des comptes publics, accusée de crime de responsabilité fiscale. Le mandat de Dilma Rousseff restera marqué dans l'histoire politique brésilienne par l’aboutissement d’une procédure de destitution d’une élue pour affaires de corruption alors même que celle-ci avait accordé davantage de pouvoirs à la justice et aux forces de police dans les affaires de corruption fiscale. L’année 2016 signe ainsi le début d’un virage conservateur qui aboutira à l'élection de Jair Bolsonaro.
Michel Temer, élu président par intérim, succède à Dilma Rousseff. Très vite, il lance des réformes conservatrices et limite le niveau des dépenses publiques, induisant des coupures budgétaires fortes dans les services publics. En conséquence, son taux de popularité extrêmement faible est de l'ordre de 2%. Ce contexte d’impopularité présidentielle est favorable au lancement d’une candidature d’un outsider extrémiste, se présentant comme une personnalité non corrompue. L’élection de Jair Bolsonaro en 2018 est le produit d’une crise des partis politiques. Les partis traditionnels, le Parti des Travailleurs (PT) et le Parti de la Social-Démocratie Brésilienne (PSDB), ont été discrédités. En parallèle, Bolsonaro a su faire campagne en monopolisant les réseaux sociaux. Son élection est en revanche indissociable du soutien de l’Église évangélique à sa candidature.
L’élection de Lula signe-t-elle la fin du bolsonarisme ?
Dimanche 30 octobre dernier, Lula da Silva est sorti gagnant du second tour, avec 50,9% des suffrages contre 49,1% pour le président sortant d’extrême droite. Après un duel serré, la victoire de Lula marque le début de son troisième mandat présidentiel.
Des partisans de Lula fêtent la victoire du PT. Crédit : Miguel Schincariol / AFP.
Le retour de Lula à la présidence marque en apparence la fin du virage conservateur brésilien. L’échec de Bolsonaro aux élections présidentielles ne met pas pour autant fin au bolsonarisme. Lors des élections législatives du 2 octobre 2022, le Parti Libéral dirigé par Jair Bolsonaro est sorti gagnant remportant 99 députés sur 513 sièges à la Chambre des députés. Dans la pratique, cela signifie que l’ancien métallurgiste gouvernera en minorité parlementaire. Le vice-président et colistier de Lula, Geraldo Alckmin, est par ailleurs un homme politique historiquement affilié à la formation de centre-droite, le PSDB, signe que le gouvernement du PT ne pourra pas gouverner “très à gauche” et se retrouvera dans l’obligation de négocier et de faire des compromis centristes, explique le politologue Olivier Dabène. Les grands lobbies présents au Parlement représentent enfin une opposition importante pour la formation de gauche. Le lobby des Églises évangéliques, de la viande et des armes, sont des exemples parmi tant d’autres de groupes de pression qui exercent une influence importante sur les décisions prises par les pouvoirs politiques et qui se positionnent du côté bolsonariste.
Le paysage politique brésilien semble polarisé. Pour Lula, poursuivre les acquis sociaux de ses deux premiers mandats risque de s’avérer compliqué face à une opposition parlementaire ardue. Lors de son premier mandat présidentiel, le Nordestien d’origine est parvenu à réduire les inégalités et baisser le taux de pauvreté. D’après le conférencier Olivier Dabène, 30 millions de Brésilien.ne.s sont sorti.e.s de la pauvreté, notamment grâce à l’implémentation d’un programme nommé Fome zero en 2003, avec pour objectif d’éradiquer la faim et l’extrême-pauvreté au Brésil. À l’époque, la conjoncture économique a permis des avancées sociales importantes. La situation économique en 2022 n’est pas la même qu’il y a dix ans : le pays a de lourdes dettes fiscales et doit faire face à un taux d’inflation important.
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