Dans un pays où, selon l’ONU, on compte près de neuf femmes assassinées par jour, le Mexique est considéré comme l’un des pays les plus violents au monde, et d’autant plus pour les femmes. Le pays recueille ainsi, selon Amnesty International, le chiffre le plus élevé de féminicides en Amérique Latine.
Pour mieux comprendre les enjeux de ces meurtres, il est important de rappeler qu’un féminicide désigne l’assassinat d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe. Jane Caputi et Diana Russel ont été les premières à définir le terme « comme la forme la plus extrême de terrorisme sexiste, motivée par la haine, le mépris, le plaisir ou la volonté d’appropriation envers une femme ». Ce terme permet d’aborder les homicides des femmes avec une perspective de genre, c’est à dire, en tenant compte du genre comme un fait social qui structure la réalité par une catégorisation hiérarchisée des sexes et des valeurs et représentations qui leur sont associées.
Selon María de la Luz Estrada, directrice de l’Observatoire Citoyen National du Féminicide (ONCF), au Mexique, le crime doit être analysé par rapport à une structure sociale machiste et misogyne qui établit une hiérarchie citoyenne entre les hommes et les femmes. Cette structure sociale se nourrit de la reproduction d’un modèle de dévaluation et soumission des femmes transmis à travers l’éducation, l’Eglise et des manifestations de la culture populaire telles que les telenovelas. Les telenovelas sont des émissions télévisées d’Amérique Latine diffusées quotidiennement dont le scénario est très souvent une histoire d’amour reprenant les principaux stéréotypes attachés au rôle de la femme dans la société. En effet, la violation systématique des droits des femmes normalise une citoyenneté féminine de second rang. Ainsi, selon l’Institut national des statistiques cité par la ministre mexicaine Olga Sanchez, ces dix dernières années, six femmes sur dix ont subi une agression. Les statistiques montrent également qu’en moyenne 32 filles âgées de 10 à 14 ans deviennent mères chaque jour à la suite d’abus sexuels et de viols, et qu’une sur quatre a subi des violences en milieu scolaire. Le féminicide dévoile donc des enjeux culturels, politiques et socioéconomiques qui engagent directement la responsabilité de l’État.
Le problème du féminicide et de la violence de genre traduit une culture basée sur un système patriarcal. Dans son discours du 25 novembre 2020, à l’occasion de la Journée internationale de l’ONU contre la violence à l’égard des femmes, la ministre déclare : « Nous avons une dette historique envers les femmes, en particulier les victimes de la violence, et nous ne pouvons pas permettre l’impunité ». Il s’agit pour la ministre de ne plus reproduire le « système culturel machiste et patriarcal » très ancré au Mexique et de mettre fin au « machisme qui tue » chaque année 3800 femmes dans ce pays. Le gouvernement mexicain est en effet appelé à réagir, notamment par de nombreux mouvements féministes et manifestations de la population.
Dans un contexte de conscientisation plus large, avec une montée ces derniers mois de mouvements féministes plus radicaux et qui n’hésitent plus à user de la violence dans ses manifestations de rues, une pression est portée sur les institutions gouvernementales mexicaines pour enfin combattre l’indifférence généralisée du sort des femmes. Le problème dénoncé – qui devient un véritable débat au cœur de la société – est bien l’indifférence des institutions comme celle de la police, de la justice ou encore de l’école et non pas celle de la population. Un contexte encore plus d’actualité depuis le meurtre de deux jeunes mexicaines en février 2020, comme le décrit le journaliste d’El País, Marcial Perez : « dans ce pays où l’on est habitué, ces dernières années, à prendre le petit déjeuner en lisant la liste des nouvelles les plus macabres, les calvaires vécus par Ingrid (25 ans) et Fatima (7 ans) semblent avoir éprouvé le seuil d’épuisement et d’indignation de la société mexicaine. »
Dès lors, des manifestations s’enchaînent et au lendemain de la journée internationale des droits des femmes, le 9 mars 2020, est déclarée une journée de grève avec une absence presque totale des femmes dans le paysage sociétal. Avec le hashtag #undiasinnosotras (« un jour sans nous »), l’objectif était de dénoncer la recrudescence des féminicides, qui connaissent une augmentation de 10% par rapport à 2019. Dans cette continuité, le mercredi 25 novembre, des manifestations d’organisations féministes se sont déroulées dans la capitale et dans d’autres villes du pays, comme Cancún, sous protection des autorités et des organisateurs. Cancún, haut lieu touristique du Mexique, est placé en état d’alerte pour violence de genre depuis 2017 mais sans réelles actions mises en place par le gouvernement.
Pour beaucoup, la part de responsabilité du président Andrés Manuel López Obrador et du procureur général du Mexique est dénoncée. Pour le journaliste d’El Universal, Ricardo Rocha, « ce qui a indigné les Mexicains, c’est de voir que leur président n’avait pas l’air indigné par la situation. » Le procureur général du Mexique s’était même récemment montré favorable à ce qu’on supprime le terme « féminicide » du code pénal mexicain pour être remplacé par « homicide avec circonstances aggravantes ». Un geste grave et contre-productif, d’autant plus dans un pays qui avait été, il y a 8 ans, l’un des premiers à introduire le terme de féminicide dans sa loi (qui ne fait d’ailleurs pas partie du code pénal français).
Le problème de l’impunité dont bénéficient les agresseurs au Mexique est particulièrement problématique. En moyenne, 50 % des meurtres classés comme féminicides sont condamnés. Et dans certains États mexicains l’impunité atteint même 98 %, selon un rapport présenté lors de la conférence matinale quotidienne du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO). Le président souligne également le fait que le phénomène d’agression contre les femmes provient des « conditions de pauvreté et d’inégalité économique ».
L’impunité de ces crimes justifie ainsi cette violation des droits et alimente une culture féminicide. Ces meurtres contribuent à la normalisation de la violence contre les femmes dans l’espace public comme dans la sphère privée. Cette culture repose surtout sur la responsabilisation des victimes qui, portant « des jupes trop courtes », ou marchant « très tard dans la rue » sont coupables de leur propre mort. Des codes de comportement s’inscrivent dans une société qui n’apprend pas à respecter les femmes, mais qui apprend aux femmes à s’auto-surveiller selon ces règles discriminatoires. Plus grave encore, cette culture est dominante dans les instances supposées les protéger.
Finalement, la complicité entre les assassins, le système judiciaire et les autorités publiques font que les femmes dénoncent rarement les agressions dont elles sont victimes. Le manque d’accès à des procédures claires et respectées se révèlent donc être la première entrave pour la cessation de cette violence.
Camille Doux
Sources : France Culture, Euronews, Le Figaro, CDHAL
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