© Martin Bernetti / AFP
Depuis le 18 octobre 2019, un soulèvement populaire ébranle le Chili. Ce mouvement social est
exceptionnel par sa force, son ampleur et sa durée.
Une augmentation des titres de transport dans la Capitale à Santiago provoque la colère des
citoyens. Le fort mécontentement de la population aboutit par la suite à des critiques, un rejet des
partis politiques, des institutions et de la Constitution hérités de la dictature d’Augusto Pinochet. Ce
soulèvement populaire se caractérise par une diversité des mouvements sociaux. Toutefois, le
mouvement féministe constitue une des forces sociopolitiques majeures.
Les féministes chiliennes sont des actrices des mouvements sociaux comme récemment avec
l’objectif de « barrer la route » au candidat ultraconservateur, José Antonio Kast ce qui a impulsé la
victoire à la présidentielle du candidat de gauche, Gabriel Boric.
« L'État oppresseur est un macho violeur », « le violeur, c'est toi » : Les femmes au cœur des
luttes depuis de nombreuses années
Le rôle central du mouvement féministe n’est pas une nouveauté. Dès les années 80’ les femmes
issues de quartiers populaires se trouvaient au coeur des « protestas ». Avec les émeutes étudiantes
de 2011 qui militent pour une réforme de l’éducation, de nombreux collectifs féministes se sont
créés, avec à la tête, des étudiantes, des militantes communistes comme Camila Vallejo et Karol
Cariola. Le mouvement féministe chilien prend de l’ampleur avec des mobilisations notoires contre les
féminicides et pour le droit à l’avortement qui secouent toute l’Amérique latine, du Mexique à
l’Argentine, une lutte encore loin d’être gagnée.
Depuis le mouvement social d’octobre 2019, les féministes chiliennes conservent leur rôle central.
L’influence des féministes dans la victoire du « oui » au référendum
Les féministes chiliennes ont pris une part importante dans le mouvement constitutionnel en cours
en ayant insisté sur l’importance d’élire une Assemblée constituante c'est-à-dire d'une
assemblée de représentants d'un pays qui a pour mission de rédiger ou d'adopter une
constitution ou une modification de celle-ci . Elles auront revendiqué une Assemblée libre,
souveraine, féministe. Ce sera finalement non pas une assemblée constituante mais une Convention
constitutionnelle, soit une pratique implicite ou explicite, non écrite mais connue, acceptée
et suivie par les acteurs politiques d'un État ou, éventuellement, par les partis
politiques comme si cette convention était une règle de droit.¹
Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, la Coordination féministe du 8 mars
(CF8M), a appelé à participer activement à la campagne constitutionnelle, à voter «oui» et à dire
«oui» à cette Convention..
Dans un même temps, elles dénoncent les limites du processus car un accord préalable entre les
grands partis a été signé. Ce dernier implique que tous les articles de la future constituante seront approuvés à une majorité des deux tiers. Ainsi, la droite chilienne a un droit de veto sur les futurs
articles, qu’elle pourrait faire jouer sur une grande partie des revendications féministes.
La CF8M a fait cohabiter des féminismes très divers, ce qui témoigne de sa force et de son
influence dans le processus constitutionnel. Au sein de la convention, il y a des membres des
peuples autochtones, élus avec des sièges réservés, tels que Machi Francisca Linconao. qui va
rédiger la nouvelle Constitution avec à ses côtés, d’autres femmes mapuches² . A la surprise
générale, la « Liste du peuple », qui a obtenu le plus grand résultat de 27 sièges avec très peu
d’argent de campagne par rapport aux millions de pesos investis par la droite. Ce score surprenant
et satisfaisant pour le peuple chilien démontre nettement le besoin de changement et de coupure
avec l’héritage de la dictature de Pinochet. Le peuple veut briser le modèle néolibéral et lutter
contre les inégalités, ce que CF8M impulse fortement.
Un renouveau politique marqué par les mobilisations féministes
Le féminisme chilien trouve sa force en tournant ses revendications autour d’une lutte commune : la
fin de la précarisation de la vie. De cette revendication découlent l'autodétermination des corps donc
le droit à l'avortement libre mais aussi un système de santé accompagnant les femmes dans ce sens ;
la lutte contre les discriminations salariales, qui est très importantes au Chili. En effet, le salaire des
femmes est en moyenne 30 % inférieur à celui des hommes. Plusieurs autres thèmes sont soulevés
comme le système de retraite car ce dernier est privatisé et encore une fois, les femmes, plus
précaires, sont impactées de manière importante. L’éducation non sexiste, les féminicides et les
violences de genre, des sujets d’actualité brûlants sont aussi soulevés par des mouvements
féministes comme Las Tesis depuis 2019.
Ces revendications sont directement liées aux récentes élections du 19 décembre 2021. En
effet, après le barrage fait au candidat ultra conservateur José Antonio Kast, par les féministes, le
candidat de gauche, Gabriel Boric a remporté la présidentielle chilienne. En décembre, les
féministes ont lancé un appel à la mobilisation générale et ont mis en lumière les dérives de ce
candidat qui s’inscrit dans la continuité de la dictature de Pinochet. Le droit à l’avortement, gagné le
28 septembre 2021 grâce à leur mobilisation pendant près de 30 ans risquait fortement d’être remis
en cause “Alerte fasciste !”, “Nous accouchons, nous décidons”, “A bas le patriarcat qui va
chuter, vive le féminisme qui vaincra”…
Ces dernières ont encore une fois joué un rôle majeur dans la politique du pays et ont impulsé la
victoire historique du candidat de gauche, Gabriel Boric. Ce nouveau président qui prendra ses
fonctions en mars 2021, s’inscrit dans le tournant radical en proie au changement du pays, plus
soucieux du peuple. Il promet une présidence en transformation « fiscalement responsable » et où
les femmes seraient « protagonistes ». Composés en majorité de femmes (14 femmes et 10
hommes) le futur gouvernement se révèle prometteur et pour la première fois dans l'histoire du
pays, le ministère de l'intérieur sera dirigé par une femme, la médecin Izkia Siches, ex-directrice de
campagne de Gabriel Boric, tandis que Camila Vallejos, du parti communiste, sera porte-parole du
gouvernement. Ce renouveau politique devrait porter les revendications féministes et surtout les
mettre en application.
Sans les différentes actions menées par les groupes féministes chiliens durant ces dernières années,
le Chili n’aurait certainement pas connu ce renouveau politique actuel. Le Chili avec ce nouveau
gouvernement populaire va pouvoir s’extraire des vestiges laissés par la dictature de Pinochet. Les
temps sont au changement, à la jeunesse, au peuple, qui désire un autre avenir que celui subi par
leurs ascendants avec la dictature de Pinochet.
Morgane M.-M.
1 : revue ECIA, N. ALBERT , Le Chili espère définitivement tourner la page sur l’ère de Pinochet, 22/11/2021, https://eciasorbonne.wixsite.com/monsite/post/le-chili-esp%C3%A8re-tourner-d%C3%A9finitivement-la-page-de-l-%C3%A8re-pinochet
2 : les mapuches sont un groupe ethnique et peuple autochtone du Chili et d’Argentine formant plusieurs
communautés
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