Ces dernières semaines, Juan Guaidó est devenu le visage de l’opposition vénézuélienne. Mercredi 23 janvier, jour de rendez-vous populaire pour une manifestation pacifique dans les rues, le président de l'Assemblée nationale s’est autoproclamé devant la foule « Président intérimaire » de la République Bolivarienne du Venezuela. Son objectif est de remettre en place un processus démocratique dans le pays en trois étapes, devenues comme un slogan : « Cese la usurpacion, Gobierno de transicion, Elecciones libres ». Cette proclamation est un acte marquant : acte qui attise les débats et les réactions partout dans le monde et qui met en lumière un point de non-retour de l'opposition d’une partie du peuple vénézuélien au gouvernement de Nicolas Maduro. Le président fait face, depuis sa prise de fonction le 8 mars 2013, à une forte opposition regroupée autour de la Mesa de la Unidad Democratica ou « MUD » (créée en 2008), une coalition de partis politiques contre le PSUV, parti Chaviste au pouvoir depuis 20 ans.
Les fortes manifestations dans les rues au Venezuela ne datent pas d’aujourd’hui, les plus marquantes ayant eu lieu en 2014 et en 2017. Guaidó n’est pas non plus la première personnalité d’opposition à être sur le devant de la scène : avant lui, peut-être avez-vous déjà entendu les noms de Henrique Capriles, Leopoldo Lopez ou Maria Corina Machado.
Il s’agit de comprendre en quoi la proclamation de Juan Guaidó et ces manifestations de début 2019 sont différentes de ce qu’on a pu avoir les années précédentes et en quoi elles marquent un point de non-retour. Ces faits s’inscrivent dans un contexte particulier qu'il est important de connaître, et auquel cet article tente d'apporter une mise en lumière.
Juan Gerardo Guaidó Marquez est né dans la ville de La Guaira dans l’état Vargas le 28 juillet 1983, il fait partie du parti Voluntad Popular dont il est un des membres fondateurs avec le leader Leopoldo Lopez, une des figures de l’opposition arrêté lors des manifestations en 2014. Guaidó est un ingénieur industriel, diplômé de l’université Catholique Andrès Bello à Caracas en 2007, où il a obtenu un premier master en administration publique. Il est diplômé d'un second master de la George Washington University dans la même discipline.
Son activité politique commence dès l’université car il est un des leaders du mouvement étudiant la « génération 2007 » qui s’oppose au référendum constitutionnel proposé par le président de l’époque, Hugo Chavez, auquel le peuple dira non dans un premier temps. Il contenait une proposition de modification de soixante-neuf articles de la Constitution, dont la réélection indéfinie. Dans cette génération d’étudiants se trouvent également des hommes politiques connus comme Juan Requesens (arrêté le 7 aout 2018) et Freddy Guevara (actuellement refugié dans l’ambassade du Chili à Caracas). Guaidó se présente en 2012 aux primaires de la MUD pour le poste de gouverneur de l’Etat Vargas, mais il lui est préféré José Manuel Olivares du parti de Henrique Capriles, Primero Justicia. Il est élu député pour la première circonscription de l’Etat Vargas lors des élections législatives en 2015 (où l’opposition obtiens la majorité), et en décembre 2018 il est confirmé par les membres de l’opposition comme président de l’Assemblée Nationale pour briguer un mandat d'une année, du 5 janvier 2019 jusqu’au 5 janvier 2020.
Juan Guiadó dès sa prise de position en tant que président de l’Assemblée Nationale affirme que celle-ci ne reconnait pas Nicolas Maduro comme Président après le 10 Janvier 2019, date de fin de son mandat suite aux élections présidentielles de 2013 après la mort d’Hugo Chavez. Il est donc décrété que l’Assemblée sera le seul organe au pouvoir. Lors de ce qu’on appelle au Venezuela « un cabildo abierto », c’est-à-dire une réunion extérieure de l’Assemblée Nationale devant le peuple, il déclare le 11 janvier assumer les responsabilités de l’article 233 de la Constitution pour convoquer des nouvelles élections présidentielles (à noter que selon cet article il ne pourra pas s’y présenter). Quelques heures auparavant, l’Assemblée Nationale avait publié un communiqué annonçant que Juan Guaidó assumera la charge de président intérimaire. Ainsi arrive la date du 23 janvier 2019 : Guaidó et l’opposition ont appelé à une manifestation massive et à un nouveau « cabildo abierto » au cours duquel il se proclame président intérimaire de le République bolivarienne du Venezuela.
Il s’agit dans cet article d’expliquer comment on arrive à ce 23 Janvier et à cette proclamation de Guaidó : quelle justification à l’utilisation de l’article 233 de la Constitution face à cette situation, puis de voir les réactions du gouvernement de Maduro et l'implication dans cette crise politique de la communauté internationale.
La justification de ce recours à l'article 233 nécessite une remise en contexte. Il n'est pas à comprendre selon l’opposition vénézuélienne comme un évènement tel un coup d’État : il faut l’inscrire dans tout un processus en réponse aux actes politiques du gouvernement de Maduro.
Le 10 janvier est une date importante car elle sonne la fin du premier mandat présidentiel de Nicolas Maduro. Suite à cette date, non seulement l’Assemblée Nationale (donc l’opposition) mais également une partie de la communauté internationale (Groupe de Lima, OEA, Union Européenne) s’opposent à la proclamation de son nouveau mandat, et ainsi à la reconnaissance de Maduro en tant que président. Dans le même temps, d’autres pays reconnaissent sa légitimité présidentielle, notamment Chine, Russie, Mexique, Bolivie, Cuba. La question est donc de comprendre pourquoi l’Assemblée Nationale et certains Etats, majoritairement occidentaux ne reconnaissent pas ce second mandat. Voici les explications énoncées.
Tout part des élections législatives du 6 décembre 2015 qui donnent une majorité à la coalition d’opposition à l’Assemblée Nationale : 112 sièges contre 55 pour le Gran Polo Patriotico Simon Bolivar, partis alliés au PSUV, pouvoir en place (à noter que la durée des postes est de 5 ans). L’Assemblée Nationale possède le pouvoir législatif mais également un contrôle de l’exécutif, et élit également les magistrats du TSJ (Tribunal supremo de Justicia). C’est donc politiquement un vrai problème pour l’exécutif que d’avoir une Assemblée Nationale à majorité d’opposition, donnant lieu à un premier « stratagème » du gouvernement.
La charge des magistrats du TSJ devait se terminer durant l’année 2016. Mais pour que la majorité sortante (majorité chaviste, donc celle du pouvoir) de l'Assemblée puisse élire les nouveaux membres du Tribunal Supremo de Justicia, l’exécutif a exigé de ces magistrats un renoncement anticipé à leur charge. Les magistrats ont donc été élus le 23 décembre 2015, quelques jours avant la prise de fonction de la nouvelle Assemblée à majorité d'opposition, élue le 6 décembre 2015. Grâce à cette pratique, le gouvernement a évité la perte des deux organes du pouvoir en en conservant un de son côté, qui le soutiendra dans sa politique. Après cela, l’exécutif a convoqué en juillet 2017 l'élection d’une nouvelle « Assemblée nationale constituante » de 545 postes, élue le 30 juillet 2017 sans participation de l’opposition, laissant vacants 42 sièges. Cette Assemblée constituante, qui peut notamment ratifier les décisions de l'exécutif, prend la majorité des pouvoirs à l’Assemblée Nationale : le but annoncé est d’arriver au bout de deux ans à la rédaction d’une nouvelle constitution qui devra être approuvée par référendum.
Cette Assemblée constituante prend la décision de changer la date des élections présidentielles qui devaient avoir lieu en décembre 2018 : celles-ci ont donc lieu bien plus tôt que prévu le 20 mai 2018. Ces élections sont décrites par l’opposition comme frauduleuses. D’un total de 67 partis politiques enregistrés en 2016, seulement dix-sept survivent à la réforme proposée par l’Assemblée constituante en décembre 2017, et ratifiée par le Tribunal Supreme de Justice avec l’appui également du CNE (Conseil national électoral dont les membres ont été élus par l’assemblée national à majorité chaviste avant 2015). De plus, dans ces dix-sept partis : douze font partie du Grand Pole Patriotique Simon Bolivar, coalition de partis socialistes à faveur du gouvernement. Restent donc seulement cinq partis d’opposition habilités après la réforme : Accion Democratica , Copei , Un Nuevo Tiempo, Avazanda Progresista et MAS. On a donc une invalidation de la majorité des partis d’opposition notamment des partis comme Voluntad Popular et Primero Justicia qui sont les plus grandes menaces pour le gouvernement.
Face à cette atteinte à la démocratie, lors des élections présidentielles, des partis comme Accion, Democratica (qui étaient avec le parti COPEI les partis qui se partageaient le pouvoir avant Chavez) ont décidé ne pas participer à cette « mascarade » : par exemple Henri Ramos Allup dirigeant d’Accion Democratica et qui a été président de l’assemblée Nationale pour l’année 2016 a décidé de ne pas se présenter suite à la décision de la MUD (Mesa de Unidad democratica) de boycotter ces élections.
Les élections se firent donc dans ce contexte. L’opposition avait alors dénoncé des mouvements comme « Somos Venezuela » qui installaient des « points rouges » à la sortie du bureau de vote pour distribuer à manger ou recharger le « carnet de la patrie », condition d'accès aux CLAP (Comité Local de Abastecimiento y Produccion), boites de nourriture vendues à prix régulés (pour combattre l’inflation inédite). Une menace de l’État au peuple électeur, qui s'il ne signe pas ne verra pas son carnet renouvelé, que dénonce l'opposition.
Sans surprise, Nicolas Maduro l’a emporté avec (chiffres donnés par le gouvernement) 67,84% des voies, face à Henri Falcon (COPEI) qui recueille 20,94% des suffrages avec un taux d’abstention de 54,30% et donc une participation de 45,70% selon le CNE. Falcon avait dénoncé ce suffrage mais a vu sa requête rejetée par le Tribunal suprême de justice. Résultats contestés aussi par l’Union européenne, et Donald Trump qui impose des nouvelles sanctions économiques au pays.
Un scandale vient s’ajouter à la mauvaise réputation du gouvernement et de son président : l’entreprise qui fournit les machines qui servent à voter au Venezuela (le vénézuélien vote sur une machine qui laisse un ticket qu’il pose ensuite dans une urne). « Smarmatic », l’entreprise chargée de fournir ces machines, a annoncé via un communiqué son retrait du Venezuela dénonçant une modification des chiffres.
C’est donc ces élections qui sont réfutées par l’opposition vénézuélienne et par une partie de la communauté internationale : Nicolas Maduro a été élu lors de ces élections du 20 mai 2018 pour son deuxième mandat qui devait durer jusqu’en 2025. L’opposition aujourd’hui refuse complètement ces élections et considère qu’à partir du 10 janvier 2019 le poste de président de la république est vacant. D’où le recours à l’article 233 de la Constitution, et la proclamation de Juan Guaidó président de l’Assemblée Nationale comme président intérimaire, en charge de l’exécutif jusqu’à la mise en place de nouvelles élections libres.
Au sein de l’opinion et de la communauté internationale le sujet du Venezuela fait débat : d’un côté ceux qui jugent les élections de mai 2018 comme légitimes et qui considèrent donc la proclamation de Guaidó comme un coup d’état ; de l’autre, ceux qui considèrent ces élections comme illégitimes et donc reconnaissent Guaidó comme président en intérim.
Nicolas Maduro est encore soutenu et reconnu officiellement comme président du Venezuela par des pays comme la Russie, la Chine, la Turquie et sur le continent américain par la Bolivie, et évidemment Cuba. Tous arguant contre l’interventionnisme des Etats-Unis ; une volonté d’appuyer un coup d’état car Trump a été l’un des premiers à reconnaitre Guaidó,reconnu en Amérique par le Canada, l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Chili, le Costa Rica et Panama. En Europe le Royaume-Uni a rapidement apporté son soutien, et plus tard - le 26 janvier - la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne. Ensemble ils ont lancé un ultimatum à Nicolas Maduro en lui donnant huit jours pour organiser des nouvelles élections, sans quoi ils reconnaîtraient Juan Guaidó président du Venezuela. Maduro a refusé cet ultimatum sur la télévision turque dimanche 27 janvier.
Le climat international est tendu pour donner suite à ces évènements au Venezuela. Nicolas Maduro rompt les relations diplomatiques avec les Etats-Unis et a ordonné le départ de l’ambassade américaine de Caracas, ce à quoi les Etats-Unis ont répondu par l’intermédiaire de leur conseiller à la sécurité nationale John Bolton : tout acte de violence ou d’intimidation commis envers le personnel diplomatique américain, Juan Guaidó lui-même ou l’Assemblée Nationale entraînera une « réponse significative ».
Le Conseil permanent de l’OEA (Organisations des Etats américains) s’est réuni exceptionnellement le jeudi 24 janvier pour discuter de la situation du Venezuela : dix-huit pays ont voté une résolution qui ne reconnaît pas le second mandat de Nicolas Maduro, six autres ont voté contre et huit se sont abstenus. D'autre part, une réunion extraordinaire du Conseil de Sécurité des Nations unies sur le Venezuela s'est tenue samedi 26 janvier, réclamée par les Etats-Unis, sous tension avec la Russie.
Les américains ne sont pas parvenus à faire voter une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU face à l’opposition de la Russie et la Chine, qui considèrent ce problème comme interne au Venezuela et accusent les Etats-Unis d’appuyer un coup d’État.
A noter également que la répression menée notamment par les collectifs armés a déjà fait une trentaine de morts lors de ces manifestations. Il s’agit, même dans ce contexte tendu, de rendre hommages aux victimes et à leurs familles et espérer que cette violence cesse.
Remigio Margiotta Aguilera
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