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L'auto coup d'Etat failli de Pedro Castillo

Délégitimation de la classe politique péruvienne et transition vers une crise institutionnelle.


Le 7 décembre dernier, Pedro Castillo, ex-président du Pérou (2021-2022) a ordonné la dissolution du Congrès, majoritairement conservateur. La vice-présidente, Dina Boluarte, le procureur général, les Forces Armées et la Police Nationale ont répudié l’auto-coup d’État mené par l’ancien instituteur. Des manifestations exigeant la convocation de nouvelles élections se sont étendues dans tout le pays, contestant l’arrivée à la présidence de Dina Boluarte.


Pedro Castillo décrétant l'État d’urgence et l'élection d’un nouveau Congrès constituant quelques heures avant le vote d’une motion de vacance à son encontre. Crédit : Gobierno del Perú.


Le 7 décembre 2022, Pedro Castillo annonce la dissolution du Congrès et le début d'un gouvernement par décret. L'État d’urgence et un couvre-feu au niveau national sont instaurés. La déclaration de l'ex-président a eu lieu quelques heures avant que les parlementaires se réunissent pour voter la destitution du mandataire pour incapacité morale. Cette tentative d’auto-coup d’État est contrée par les forces militaires et policières et par sa propre escorte qui refusent de se soumettre aux ordres présidentiels. Le chef de l'exécutif est arrêté par l’escorte présidentielle et amené au Commissariat alors qu’il se dirigeait vers l’Ambassade du Mexique pour demander l’asile politique.


Le Congrès péruvien accusé par Pedro Castillo d’obstruction parlementaire


Cette tentative manquée de dissolution du Parlement est dans la continuité d’une crise parlementaire qui perdure depuis de nombreuses années dans la vie politique péruvienne. Le Congrès majoritairement conservateur est aux mains de député.e.s représentant les intérêts des entreprises, des lobbies et des élites économiques. L’intérêt principal pour les membres du Congrès est de s’opposer au chef de l’exécutif incarnant une ligne marxiste-léniniste et en dernière instance, de le destituer de ses fonctions. La révocation du chef de l'État par le Congrès est un fait ordinaire dans la vie politique péruvienne. En l’espace de quatre ans, six présidents ont été destitués pour des faits de corruption.


Quelques éléments pouvaient également anticiper la volonté de dissolution du Congrès par le chef de l’exécutif. Le 25 novembre dernier, Pedro Castillo renonce à son Premier Ministre, Anibal Torres, après que le Congrès refuse un vote de confiance nécessaire à l'approbation d’un projet de loi impulsé par le Président. La Constitution péruvienne stipule que dans le cas où le Congrès refuserait un vote de confiance, le Président doit procéder à un remaniement ministériel ; si le refus d’un vote de confiance se reproduit une deuxième fois, le Président est habilité à dissoudre le Parlement et à convoquer de nouvelles élections législatives. S’ajoute également le ressentiment de Pedro Castillo envers le Congrès, qui était notable durant toute la durée de son mandat présidentiel. L’ancien chef de l’exécutif a accusé le Congrès d’obstruction parlementaire et de vouloir mener un coup d'État à son encontre. Le Parlement, sous motif d’incompétence, a discrédité la gouvernance de Castillo.


La trajectoire politique de Pedro Castillo


Pedro Castillo, issu d’un milieu rural et pauvre, ancien instituteur de profession, a une trajectoire politique atypique. Son arrivée à la présidence du Pérou s’explique par une succession de faits incongrus. Tout commence avec Vladimir Cerrón, leader de Pérou Libre, qui souhaite se présenter aux élections présidentielles de 2021. La justice le déclare inéligible pour des faits de corruption. Cerrón choisit Castillo pour le substituer aux élections présidentielles, souhaitant asseoir son pouvoir de domination sur celui-ci. Pedro Castillo était également populaire, bien qu’il ne s’affichait pas dans les moyens de communication. Sa popularité s’explique par les nombreux meetings qu’il a donnés dans les provinces rurales marginalisées pendant la pandémie de Covid 19. Après une élection extrêmement serrée, Pedro Castillo remporte l'élection présidentielle avec 50,2% des votes. Le candidat de Pérou Libre a gagné le vote anti-fujimorisme et anti-système.


Suite à son arrivée au pouvoir le 28 juillet 2021, son gouvernement s’est caractérisé par un manque d’instabilité en raison d’une opposition très forte du Parlement et d’un turnover important au sein des différents ministères suite à des démissions et des destitutions de ministres. Des nominations opposées à la ligne idéologique affichée par son parti d’appartenance ont également vu le jour : Miguel Ángel Rodríguez Mackay, initialement opposé à Pedro Castillo l’accusant de vouloir mener une politique communiste, favorable à l’amnistie de Fujimori, a été nommé ministre des affaires étrangères. Pour finir, ses promesses électorales n'ont pas été tenues et des accusations de corruption ont peu à peu vu le jour. Durant la campagne présidentielle, Castillo avait promis une amélioration des conditions de vie des peuples autochtones et des communautés rurales. Or aucune proposition de loi favorable à davantage de justice sociale n’a été portée par son gouvernement.


Le Pérou plongé dans une crise politique


Suite à l’arrestation de Pedro Castillo, Dina Boluarte, vice-présidente du Pérou a assumé la présidence dans un panorama de corruption généralisée. Très vite après l’arrivée au pouvoir de Dina Boluarte, des manifestations ont éclaté dans le sud du Pérou, notamment dans les régions où le vote Castillo a été majoritaire en 2021, avant de s’étendre dans le reste du pays. La présidente a disqualifié le mouvement, assimilant les manifestant.e.s à des bureaucrates castillistes voire à des membres d’organisations terroristes. La cheffe de l'exécutif a également déclaré l'État d’urgence pour une durée de 30 jours pour contrer les protestations.


Des manifestant.e.s à Cusco plaident pour des élections générales anticipées. Crédit : Eco Red Eco Alternativo.


Les protestations se poursuivent dans le pays. Les manifestant.e.s réclament des élections générales anticipées et la dissolution du Congrès. Aux yeux des protestataires, Dina Boluarte est considérée comme une traître et une vendue. Dans le département de Cusco, les manifestations sont nombreuses où 80% des électeurs.rices ont voté pour Pedro Castillo en 2021. D’après un sondage mené en novembre dernier, 86% des Péruvien.ne.s ont une certaine méfiance vis-à-vis du Parlement. Le Pérou est l’un des pays d’Amérique Latine où les citoyen.ne.s ont le moins confiance en la Démocratie et en les autorités politiques.


Un important arsenal policier a été mobilisé pour contrer les manifestations. Dans la ville d’Ayacucho, des affrontements ont eu lieu entre manifestant.e.s et forces de police lorsque les contestataires ont tenté d’assiéger l’aéroport de la ville. La police a fait usage d’armes à feu et de gaz lacrymogènes. Le 15 décembre, à Ayacucho, lors des protestations contre le gouvernement de Dina Boluarte et le Congrès de la République, huit personnes ont perdu la vie. Depuis le début des manifestations, le nombre de morts s’élève à plus de 20 personnes.


Une manifestante à Lima contre le gouvernement de Dina Boluarte le 15 décembre 2022 derrière une ligne de policiers. Crédit : EFE / Aldair Mejía.


Face à la recrudescence des manifestations, l’actuelle présidente a proposé d’avancer les élections présidentielles à décembre 2023. Les manifestations se poursuivent car cette déclaration est jugée insuffisante.

En ce qui concerne le sort de l’ex-président Pedro Castillo, l’ancien mandataire est actuellement détenu à la Direction des Opérations Spéciales (DINOES), dans la capitale du pays. Le procureur suprême Uriel Terán a ordonné 18 mois de détention provisoire contre Castillo pour délit de rébellion et de conspiration.


Le Pérou semble être tombé dans une crise institutionnelle. La situation politique actuelle pourrait être favorable aux partis conservateurs d’extrême droite opposés au gouvernement de Dina Boluarte. Antauro Humala, frère de l’ex-président Ollanta Humala (2011-2016) a aujourd’hui certaines possibilités d’arriver au pouvoir. Il s’agit d’une figure importante du mouvement ethnocacériste, mouvement ultranationaliste et xénophobe qui propose de fusiller les ex-présidents accusés de corruption et d’expulser les personnes migrantes. Antauro Humala, personnalité politique de droite radicale, pourrait mettre fin à ce mécontentement social.


Sylvie Argibay.


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