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Racisme d’État en République Dominicaine : discriminations raciales et violations des droits humains

En République Dominicaine, la persécution des populations haïtiennes, de descendance haïtienne, et des populations noires est une affaire d’État. Le racisme structurel régissant la société dominicaine s’incarne dans les institutions étatiques. La population semble hiérarchisée en fonction de son appartenance ethnique. La norme de la blanchitude s’impose, faisant des populations noires et de descendance haïtienne des citoyens de seconde zone, exclus des droits fondamentaux que lui confèrent un État de droit. Le subalterne est marginalisé sur le plan économique, politique et social et devient la cible de politiques répressives menées par les forces de police sous l’ordre des autorités politiques.


L’appareil judiciaire dominicain, main droite de l’État, a pris part à cet ensemble de politiques discriminatoires et racistes. En 2013, le Tribunal Constitutionnel prononce la Sentence 168-13 qui ordonne la dénationalisation de milliers de personnes dominicaines. Sont désormais considérés comme nationaux les personnes nées sur le territoire dominicain de parents dominicains. Le caractère raciste et discriminant de cette action du pouvoir judiciaire est en adéquation avec la ligne politique conservatrice et d’extrême droite affichée par les différents gouvernements. D’un point de vue juridique, cette Sentence viole la Constitution dominicaine en vigueur depuis 2010 qui stipule que les personnes nées sur le territoire national sont dominicaines. En outre, le principe de rétroactivité s’applique ce qui viole le principe de non-rétroactivité des lois. En conséquence, des milliers de dominicains noirs et de descendance haïtienne sont déchus de leur nationalité et deviennent apatrides. Par ailleurs, les personnes nées entre 1929 et 2010 de parents haïtiens en situation irrégulière sont privées de la nationalité dominicaine ce qui viole le droit international humanitaire qui précise que l’enfant n’hérite pas de la situation migratoire de ses parents.



Part de la population d’origine haïtienne en République Dominicaine en fonction des

départements. Source : « Primera Encuesta Nacional de Inmigrantes (ENI-2012) ». Santo

Domingo : Instituto Nacional de Estadística y Fondo de Población de las Naciones Unidas

(2012).


En 2014, face à la pression de la communauté internationale, l’ex-président Danilo Medina promulgue la Loi de Naturalisation 169-14. Au total, 8 000 personnes devaient récupérer leur nationalité via le processus de naturalisation engendré par ladite loi. Cependant, huit ans après le début du processus, aucune personne n’a vu sa nationalité restituée. Ce contexte de vulnérabilité marginalise les personnes noires et de descendance haïtienne, qui se retrouvent dans l’impossibilité de faire des études ou de travailler et donc de subvenir à leurs besoins de première nécessité, en raison de la persistance d’un régime politique qui cherche à exclure socialement les personnes noires. Cet ensemble de dispositifs mis en place dans un supposé “État de droit” pose les bases d’un régime ségrégationniste où l’acquisition de certains droits est réservée à une partie de la population suffisamment blanche.


Le 16 août 2020 est élu à la présidence de la République Dominicaine Luis Abinader (Parti révolutionnaire moderne), plus grosse fortune du pays. Son gouvernement marque un tournant dans le durcissement des politiques migratoires envers les populations haïtiennes avec la mise en place de mécanismes de déportations massives. En l’espace de deux ans (2020-2022), plus de 150 000 personnes ont été déportées vers Haïti, alors même que le pays traverse une longue crise humanitaire en plus d’être frappé par une situation de violence généralisée et une grave crise économique.


Cette politique de déportations massives s’accélère suite à la promulgation, le 11 novembre 2022, d’un décret présidentiel qui, sous couvert de garantir la sécurité nationale et de protéger la propriété privée, donne la compétence au Président de la République d’expulser les étrangers, notamment les personnes racisées. En outre, le décret a donné lieu à la création d’une unité spéciale au sein de la Police Nationale chargée de poursuivre les personnes accusées d’invasions et d’occupations irrégulières. L'institution policière semble être la garante de l’application d’une politique ouvertement raciste qui criminalise les citoyens non blancs. D’après les mots tenus par le président Luis Abinader “Le peuple haitien est en train d'envahir la République Dominicaine qui doit, plus que jamais, être protégée”. Pour l’actuel chef de l’exécutif dominicain, il est nécessaire, afin de pouvoir rétablir l'ordre public, d'expulser les personnes considérées extérieures à la nation, ce qui témoigne d’une rhétorique xenophobe et déshumanisante.


Cette mesure présidentielle a engendré une série de lynchages, de détentions et d'expulsions arbitraires dont sont victimes les personnes avec une apparence jugée haïtienne par les agents de l’État. Les catégories de la population visées par le pouvoir politique en place sont les suivantes : les personnes haïtiennes qui ont traversé illégalement la frontière pour arriver en République Dominicaine ; les personnes dont leur visa de travail a expiré ; les personnes nées en République Dominicaine de parents haïtiens à qui on a refusé la nationalité dominicaine ; les dominicains noirs nés de parents dominicains que les autorités accusent d’être haïtiens.


Des milliers de personnes haïtiennes ont été déportées de la République Dominicaine en octobre et novembre 2022 malgré la demande du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de cesser cette vague de déportations massives, notamment au vu du contexte politique et de la crise sanitaire et sécuritaire que traverse Haïti. En octobre 2022, 22 000 haïtiens auraient été déportés. Les conditions de déportation représentent une atteinte aux droits humains. Les personnes sont entassées dans les camions et maltraitées par les agents de la Direction Générale de la Migration. Nombre de personnes témoignent avoir été arrêtées en plein milieu de la nuit pendant que d’autres affirment que leurs papiers d’identité étaient en ordre. Parmi les groupes rapatriés se trouvaient des personnes avec la nationalité dominicaine. Des femmes enceintes à l’hôpital ont également été arrêtées et déportées de manière imminente. Enfin, environ 1 800 enfants mineurs auraient été expulsés sans leurs parents.


Cette politique discriminatoire, raciste, inhumaine et dégradante persiste dans un contexte d'impunité majeur. Le silence de la communauté internationale et des médias mainstream fait courir le risque d’une aggravation de la situation. Le racisme anti-noir structurant la société dominicaine doit cesser afin de contrer cette volonté de nettoyage ethnique du pouvoir politique.


Sylvie Argibay.

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