Le 4 septembre dernier, les citoyen.ne.s chilien.nes ont été appelés aux urnes pour se prononcer en faveur ou contre l'approbation d’une nouvelle Constitution. Une grande majorité s’est prononcée contre le texte constitutionnel rédigé en grande partie par des activistes de la société civile.
Des centaines de personnes manifestent leur joie après l’échec du plébiscite à une nouvelle Constitution au Chili, le 4 septembre 2022. Crédit : Claudio Reyes / AFP.
Le plébiscite du 4 septembre est un échec pour les membres de la Convention Constitutionnelle : 61,9% des Chilien.nes ont voté contre le changement de Constitution héritée de la dictature Pinochetienne contre 38,1% pour, avec une participation de l’ordre de 85% dans un pays où le vote est obligatoire. Le président Gabriel Boric, qui a fait campagne en faveur, a annoncé vouloir poursuivre le processus constituant.
Une convention issue del estadillo social de 2019
La formation d’une Convention Constitutionnelle, paritaire et composée de représentant.e.s des peuples indigènes, chargée de rédiger une proposition de nouvelle Constitution qui serait soumise au vote populaire, est le résultat d’une grande mobilisation sociale et politique démarrée en octobre 2019 suite à l’augmentation du prix du ticket de métro, qui prendra le nom de estadillo social. L’ampleur des manifestations avec plusieurs millions de personnes mobilisées trouve son origine d’un sentiment populaire d'inconformité et de désaccord avec la classe politique chilienne, suite à plusieurs décennies d’hégémonie néolibérale qui ont accentué les inégalités sociales et l’écart salarial. Le consensus néolibéral, constitutionnalisé par le dictateur Augusto Pinochet en 1980, a induit une atteinte aux droits sociaux mais également l'extraction des ressources naturelles et l’expropriation des terres indigènes au profit des grandes firmes multinationales.
Manifestant lors de l’estadillo social brandissant une pancarte “Les inégalités sociales sont plus violentes que n’importe quelle manifestation”, le 18 octobre 2020.
Le Chili est l’un des pays aux monde où la répartition des revenus est la moins effective et les nombreuses politiques de privatisation ont rendu payants la grande majorité des services, notamment l’éducation et la santé. En conséquence, une grande partie de la population chilienne se retrouve dans l’obligation de s'endetter pour pouvoir subvenir aux besoins quotidiens. L’un des nombreux slogans brandis par les manifestant.e.s était “Ils nous ont tellement tout pris qu'ils ont fini par nous enlever notre peur” (Nos quitaron tanto, que acabaron quitándonos el miedo). Près d’un mois après les premières mobilisations, un plébiscite est organisé le 15 novembre 2019, où 78% des Chilien.ne.s votent pour mettre fin à la Constitution en vigueur, ce qui marque le début du processus constituant.
La volonté de la Convention Constitutionnelle d’un État social à caractère plurinational
La Convention Constitutionnelle, formée en juillet 2021 et chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour le peuple chilien respectueuse des droits humains, est composée de 155 membres, notamment des indépendants désaffiliés de tout parti politique, est paritaire, avec 17 sièges réservés aux représentant.e.s des peuples indigènes. Il s’agit de l’organe le plus démocratique de l’histoire du Chili en raison de sa forte composante sociale et indigène, d’autant plus que la Constitution actuelle ne reconnaît pas les droits des populations originaires, ce qui va à l’encontre des normes internationales auxquelles l’État chilien a souscrit qui sont la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux et la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples indigènes.
L’imposition du modèle de l’État-nation a eu pour conséquence la marginalisation des populations indigènes des espaces de participation politique. La volonté politique de la Convention a été la mise en place, à l’instar de la Bolivie en 2009, d’un État plurinational permettant de reconnaître l'existence de différentes nations dans le territoire chilien, dans un pays où 13% de la population est indigène et de mettre en place un système de justice indigène. Le Chili est caractéristique d’une diversité culturelle importante de part la présence de dix peuples originaires reconnus par la Loi Indigène n°19.253 (les Aymaras, les Atacamènes, les Quechuas, les Qolla, les Diaguitas, les Changos, les Rapanuis, les Mapuches, les Kaweskars et les Yagans), intégrés dans la Convention Constitutionnelle dont sept représentant.e.s indigènes mapuche en raison des diverses identités culturelles ancestrales existantes et de leur forte représentation parmi les populations indigènes. En ce sens, un des objectifs de la Convention a été d’instaurer un paradigme interculturel favorisant le dialogue entre différentes cultures.
La définition d’un État social et démocratique, reconnaissant des droits économiques et sociaux aux peuple, favorisant l’égalité homme/femme et assurant la sécurité écologique a été l’une des propositions élaborées par les constituant.e.s. Le premier article de la proposition constitutionnelle affirme que le Chili est un “État social et démocratique de droit” avant d’ajouter que l’État sera “plurinational, interculturel et écologique”.
Manifestant.e.s tenant le drapeau Mapuche et exigeant la rédaction d’une Constitution Plurinationale reconnaissant les droits des populations autochtones.
Les raisons qui expliquent le refus du peuple chilien à une nouvelle Constitution
Le concept de plurinationalité avancé par la proposition de Constitution a été l’un des principaux motifs de refus. Pour les secteurs traditionalistes, la plurinationalité menacerait les valeurs nationales du pays. Un événement organisé dans la ville de Valparaiso, le 27 août 2022, par le collectif travesti “Las indetectables”, a accentué ce sentiment d’attaque aux valeurs patriotiques. Lors de cet acte animé par des militant.e.s favorables à l’approbation d’une nouvelle Constitution, un groupe de travestis s’est introduit le drapeau chilien dans l’anus, face à un public composé de 3 000 personnes avec plusieurs familles, adolescent.e.s et enfants présents. Cette performance provocatrice a indigné une partie de l’opinion publique qui s’est vue confortée dans son choix de refuser l'approbation d’une nouvelle Constitution au Chili.
Les électeurs.rices et les partis de droite se sont également opposés au processus constituant, par volonté de freiner l’action politique des activistes de causes progressistes. Aussi, s’opposer à la Convention est une forme d’opposition à l’actuel gouvernement de Gabriel Boric.
La baisse du soutien à l’approbation et la hausse du rejet peuvent également être expliquées par l’essor de l’électeur médian. Une grande partie des électeurs.rices souhaite, soit approuver la Constitution mais en apportant des modifications au texte constitutionnel une fois approuvé, soit refuser la proposition d’une nouvelle Constitution tout en réaffirmant leur volonté d’une Constitution nouvelle pour la nation chilienne. Les leaders des partis de droite ont joué un grand rôle dans l’augmentation du vote pour le refus, notamment chez l’électorat plus modéré, en annonçant leur volonté de poursuivre le processus constituant dans le cas où le refus l’emporterait.
D’après l’un des derniers sondages organisé par l'institut Cadem peu avant la tenue du plébiscite, 67% des citoyen.nes s’identifient avec cette vision idéologique (approbation avec modification et refus mais volonté de changement). Selon ce modèle, seulement 12% des électeurs.rices, majoritairement de gauche et âgé.e.s entre 18 et 30 ans, souhaite approuver la proposition d’une nouvelle Constitution sociale, écologiste et indigéniste.
Le plébiscite tenu le 4 septembre dernier a été triomphant au centre du spectre politique. Cette explication suppose que la poursuite du processus constituant sera axé sur des mesures centristes, faisant consensus aussi bien à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. L’objectif dans cette nouvelle rédaction d’une Carta Magna sera de concilier plurinationalisme et sentiments patriotiques pour satisfaire l’électorat conservateur. La problématique des sièges réservés aux populations indigènes pourrait être remise en question dans cette nouvelle conjoncture constitutionnelle.
Sylvie Argibay
Super article !!
Très bon article. Vraiment intéressant.