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La monarchie espagnole en crise ?


Gerard Julien/AFP


La crise sanitaire actuelle de covid-19 se double d’une crise politique en Espagne. Le 18 mars dernier, le discours du roi Felipe n’a pas obtenu le succès escompté et entraîne les

Caceroladas de la part du peuple. A Madrid et à Barcelone, ces derniers font résonner leur mécontentement en martelant sur des casseroles.

Ces événements illustrent un mouvement de contestation de la monarchie espagnole. Cette dernière est fragilisée par de nombreux scandales de corruption, conduisant en août 2020 à l’exil de l’ancien monarque Juan Carlos I, qui quitte l’Espagne pour s’installer aux Emirats Arabes Unis.


Retour sur l’histoire de la monarchie espagnole


Après la toute-puissance de l’Empire des Habsbourg, les Bourbons accèdent au trône en 1700. Cette dynastie connait de multiples ruptures, abdications et restaurations. En 1875, Alfonso XII remonte sur le trône. Son règne est marqué par des scandales de corruption. Il soutient ouvertement la dictature de Primo de Rivera (1923-1930), il est ensuite écarté et quitte l’Espagne lorsqu’est proclamée la IIIème République en 1931. Suite à la guerre civile (1936-1939), la dictature franquiste s’accapare le pouvoir pendant 36 ans. Franco ne partage pas le pouvoir avec la monarchie mais il demande à ce qu’on lui envoie Juan Carlos, petit-fils d’Alfonso XIII et double Bourbon, pour faire son éducation. En 1971, une loi de Succession confirme Juan Carlos comme successeur de Franco. En 1975, à la mort de Franco, Juan Carlos est proclamé roi. Juan Carlos I doit mener une transition démocratique. Celle-ci est entachée par une tentative de coup d’Etat le 23 février 1981. Après cette tentative de putsch désamorcée, le monarque prononce au cours d’un discours télévisé : « La couronne, symbole de la permanence et de l’unité de la patrie ».


Une succession de scandales


Les scandales impliquant la monarchie espagnole se sont multipliés à partir des années 2000. En novembre 2007, lors du sommet ibéro-américain, Juan Carlos I lance à Hugo Chavez « Pourquoi tu ne te tais pas ? ». Suite à cet incident, les relations avec le Venezuela restent tendues pendant un an.

Entre 2011 et 2018, le scandale de l’affaire Nóos est révélé : la fille du roi et son mari sont accusés d’abus de pouvoir et de fraude fiscale. Le roi Juan Carlos y fait allusion dans un discours en 2011 en déclarant que « La justice est la même pour tous », ce qui parait ironique au regard de ses exactions futures. En 2012, une photographie de 2006 est dévoilée montrant le monarque victorieux après une chasse à l’éléphant au Botswana. Celle-ci conduit WWF à destituer le roi de son poste de président d’honneur. Cet évènement intervient dans un contexte économique pesant, conjuguant la crise financière, une importante récession et un taux de chômage de 25%.


Un scandale en entrainant un autre, lors de ce voyage le roi était accompagné de sa maîtresse Corinna zu Sayn-Wittgenstein, entrepreneuse et aristocrate allemande, experte en négociation de contrats moyennant commissions. Ces scandales affaiblissent l’image de la monarchie et la légitimité du roi. Finalement, le 2 juin 2014, le roi abdique en faveur de son fils Felipe VI.


Le règne de Felipe VI avait pour vocation de moderniser la monarchie, afin de permettre sa sauvegarde. Cependant, le nouveau roi n’échappe pas aux scandales. En 2015, le monarque écarte sa sœur, l’infante Cristina, de la famille royale et lui retire son titre de duchesse de Palma de Majorque car celle-ci a détourné des fonds publics. Un sondage de juin 2019 de l’IMOP Insights montre un détachement de plus en plus net de l’opinion vis-à-vis de la famille royale, surtout dans les régions aux sentiments nationalistes les plus forts : Pays basque, Catalogne, Galice et Valence. Ce sondage met également en avant un clivage générationnel puisque 70,4% des 18-24 ans se déclarent républicains.


En mars 2020, la Tribune de Genève révèle que la justice suisse a ouvert une enquête sur le versement de 100 millions de dollars en 2008 par le ministre des Finances saoudiens sur un compte de la banque Marabaud à Genève au nom d’une fondation offshore située à Panama et contrôlée par Juan Carlos. Au moment où les Espagnols subissaient la crise financière de 2008, le roi aurait donc détourné 100 millions de dollars reçus de l’Arabie saoudite. Le roi Felipe VI figure comme bénéficiaire de la fondation contrôlant les fonds opaques. Au même moment, Corinna zu Sayn-Wittgenstein porte plainte contre Juan Carlos pour menaces et harcèlement. Elle révèle au grand jour un système de prête-noms et de comptes cachés pour engranger des fonds d’origine opaque. En réaction à ces accusations, la monarchie indique par le biais d’un communiqué du 15 mars 2020, que le roi Felipe avait exprimé depuis avril 2019 son refus d’accepter les bénéfices et les participations provenant de l’entité par laquelle avaient transités les fonds saoudiens. Le roi annonce également vouloir renoncer à l’héritage de son père, l’exclut de la famille royale et supprime son allocation annuelle de 195 000 euros. Enfin, le 3 août 2020, Juan Carlos fuit l’Espagne.


Ces scandales s’accompagnent de mouvements politiques de contestation de la monarchie. En 2014, dans un manifeste, le parti Podemos s’appuie sur le Mouvement des indignés pour revendiquer une « démocratie réelle » et demander un référendum sur le « retour à la République ». La coalition de gauche Unidos Podemos a demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire réclamant des explications à Juan Carlos mais la demande a été bloquée par les socialistes du PSOE, les conservateurs du Parti populaire et les libéraux de Ciudadanos.


Actuellement, la monarchie doit faire face à la crise sanitaire, qui est en train de déboucher sur une crise économique, alors que l’Espagne a une dette publique à 95% du PIB. Le roi ne gouverne pas, mais règne. Il a donc un rôle symbolique, médiatique et psychologique dans cette crise. Felipe VI essaye d’avoir une action forte. Des discours sont prononcés, de la part du roi mais également de la reine et de leurs deux filles. Le roi a cédé les effectifs de la Garde royale et son service de sécurité aux forces de l’ordre et à l’armée. Il a également fait jouer ses réseaux et utilisé ses contacts privilégiés pour faire venir 500 000 masques de Chine, des tests et des équipements. Si ces actions ne permettent pas d’étouffer les scandales, elles démontrent l’intérêt du monarque. Ainsi, malgré la fragilité de la monarchie, il n’est pas certain que celle-ci soit réellement en danger, notamment car les Bourbons ont connu de nombreuses difficultés et ont toujours su se relever.


Gabriela Rodrigues

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