En 1999, en Amérique du Sud, seuls le Venezuela et le Chili sont gouvernés par des partis de
gauche. Moins de dix ans plus tard, une vague rose a submergé le sous-continent, Lula,
Correa, Morales, Kirchner ayant remporté les diverses élections nationales. Tandis que
l’Amérique est presque unifiée sous une même couleur politique, les populations indigènes
sont remplies d’espoir devant les discours tenus, notamment en Bolivie mais aussi en
Équateur ou au Brésil sur le respect de la Terre mère, la Pachamama dans les cultures
andines. Ce concept a souffert de nombreuses instrumentalisations politiques ces dernières
années.
Aux origines, la Pachamama, déesse fertile et vindicative
La Pachamama représente la déesse Terre pour les populations qui étaient situées sur les
territoires occupés auparavant par le peuple inca. Ainsi, les populations indigènes aymara et
quechua sont les héritières de ces croyances. Les premiers représentent plus de 10% de la
population bolivienne où demeurent les trois quarts de la population aymara totale. Il s’agit
surtout d’une population rurale et paysanne dont les membres vivent aussi au Chili et au
Pérou.
Ces populations considèrent la déesse Pachamama comme la régente de tout ce qui se
trouve à la fois sur mais aussi sous la Terre. C’est d’ailleurs de là que la déesse tire son nom.
La déesse est considérée double, dotée de deux personnalités. Selon qu’elle ait reçu son dû
ou non, elle se trouve être généreuse et fertile ou a contrario, vindicative. Dans les langues
aymara et quechua, le terme pacha recouvre plusieurs concepts qui sont notamment la
terre et l’univers tandis que celui de mama désigne la mère. En ce sens, la culture inca est
basée sur la dualité entre les notions d’espace et de temps tout en ne faisant pas de
distinction entre la sphère physique et celle spirituelle.
Si son aura diminue après les conquêtes espagnoles, ces derniers lui substituant le culte
catholique et la Vierge Marie, elle conserve pour autant un rôle central dans les cultures
andines. Ainsi, encore aujourd’hui, certaines communautés indigènes continuent d’organiser
des Challa ou Pago. Il s’agit d’offrandes, principalement des bonbons, des fleurs, d’alcool et
de feuilles de coca, brûlées puis enterrées au cours d’une cérémonie se déroulant au mois
d’août et qui vise à s’assurer une bonne récolte. Durant le carnaval, une autre cérémonie a
lieu pour remercier la Terre pour l’ensemble de ce qu’elle a accordé durant l’année écoulée.
Aujourd’hui, plus encore qu’une déesse, la Pachamama désigne aussi une relation à la Terre,
une manière de vivre ainsi qu’une vision politique dont les représentants des populations
indigènes considèrent qu’elle n’est que trop souvent trahie par les partis de gauche en
Amérique du Sud. Un ancien ministre de l’Énergie sous Correa, Alberto Acosta, a ainsi
déclaré « Pour les populations autochtones, la Pachamama n’est pas une simple métaphore,
contrairement à ce qui se passe dans le monde occidental. Les indigènes identifient la Terre à
une mère. Ils entretiennent une relation très étroite avec elle ».
La vague rose : de l’espoir indigène au désenchantement
Tandis que la gauche remporte peu à peu l’ensemble des élections d’Amérique latine, les
populations indigènes commencent à être habitées par l’espoir que leurs territoires soient
préservés et non plus considérés comme des terres à exploiter pour leur sous-sol. Pour
exemple, la Bolivie est traversée en 2003 par de très fortes manifestations visant à
nationaliser les réserves de gaz naturel. Marquées par la chute du gouvernement, ces
manifestations continuent d’installer Evo Morales, alors futur président, comme le meilleur
opposant.
Finalement élu à la Présidence en 2005, son arrivée au pouvoir symbolise l’espoir des
membres des populations indigènes : la veille de sa prestation de serment devant le Congrès
bolivien, il est intronisé par des représentants de ces populations à Tiwanaku. Le MAS et Evo
Morales sont même allés plus loin puisqu’en 2011, la loi dite Pachamama a donné à ce
concept une valeur légale. Ainsi, son article 5 dispose que la Pachamama, comme toutes ses
composantes, a un statut légal d’intérêt général tandis que l’article 7 dispose de sept droits
pour la Pachamama tels que celui de ne pas subir la pollution ou de permettre la
restauration de son système vivant.
Néanmoins, la réalité économique a rapidement rattrapé le premier président indigène
d’Amérique du Sud. Evo Morales a ainsi été accusé par les associations indigènes de
renforcer les exploitations de ressources naturelles.
In fine, l’arrivée du Mouvement vers le Socialisme au pouvoir, le parti d’Evo Morales et du
président actuel Luis Arce, aurait modifié le prisme idéologique et la perception des
extractions et des exploitations des ressources naturelles du pays. Les coûts sociaux et
environnementaux de celles-ci n’ont pas disparu mais la vision et le discours politique
accolés ont évolué. Le socialisme aurait offert une justification à la pollution
environnementale puisqu’elle permet de renforcer les ressources financières du pays afin
d’aider les populations précaires.
Un autre exemple, s’il en fallait, est celui de la réforme du code minier bolivien entamée en
2014 qui permet aux entreprises minières d’utiliser l’eau publique pour des opérations
polluantes et nocives, sans contrepartie pour la population.
La Bolivie n’est pas un cas unique. Son voisin brésilien, pourtant gouverné par la gauche de
2003 à 2016 est ainsi l’un des premiers producteurs de soja OGM. Outre cela, un chiffre est
tout aussi parlant : en 2011, le volume de l’extraction de minerais au Brésil était supérieur au
double du volume de minéraux extraits dans l’ensemble des autres pays d’Amérique du
Sud…
Les populations indigènes et leurs représentants ont en outre été confrontés à de larges
mouvements de répressions, à rebours des discours tenus… Les exemples sont ainsi
nombreux de militants indigènes arrêtés au Pérou, pour ne citer qu’eux, à la suite de leur
lutte contre l’industrie minière sous la présidence d’Ollanta Humala (2011-2016). En effet,
l’industrie minière péruvienne a alors connu une très forte expansion qui a multiplié les
conflits avec les populations indigènes luttant pour l’accès à l’eau et la préservation de leur
terre.
Le même phénomène s’est aussi produit en Équateur durant les mandats présidentiels de
Rafael Correa (2007-2017) où des militants indigènes ont été mis en prison pour s’être
opposés à la conduite d’extractions de ressources naturelles. De plus, même si le président
équatorien avait promis de ne pas exploiter les sous-sols si les pays riches compensaient le
manque à gagner, l’opération s’est révélée être un échec. La Bolivie d’Evo Morales a été
confrontée à des dynamiques similaires. Ainsi, l’opposition au projet de construction d’une
grande autoroute en plein cœur d’un parc national, et qui plus est sur des terres indigènes, a
débouché sur une forte répression causant plus de 70 blessés.
De déesse Terre à idéal politique dévoyé, si la Pachamama a offert durant longtemps une
illusion écologique aux admirateurs des gauches sud-américaines, la réalité semble plus
ambivalente tant la position des populations indigènes est mise à mal et le respect de leur
héritage n’est pas, encore aujourd’hui, assuré…
Nathan ALBERT
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