top of page

La Pachamama : une déesse et un idéal politique dévoyé par les gauches sud-américaines

Dernière mise à jour : 18 avr. 2022


Manifestation des représentants de la nation Qhara Qhara en Bolivie en 2019

En 1999, en Amérique du Sud, seuls le Venezuela et le Chili sont gouvernés par des partis de

gauche. Moins de dix ans plus tard, une vague rose a submergé le sous-continent, Lula,

Correa, Morales, Kirchner ayant remporté les diverses élections nationales. Tandis que

l’Amérique est presque unifiée sous une même couleur politique, les populations indigènes

sont remplies d’espoir devant les discours tenus, notamment en Bolivie mais aussi en

Équateur ou au Brésil sur le respect de la Terre mère, la Pachamama dans les cultures

andines. Ce concept a souffert de nombreuses instrumentalisations politiques ces dernières

années.



Aux origines, la Pachamama, déesse fertile et vindicative


La Pachamama représente la déesse Terre pour les populations qui étaient situées sur les

territoires occupés auparavant par le peuple inca. Ainsi, les populations indigènes aymara et

quechua sont les héritières de ces croyances. Les premiers représentent plus de 10% de la

population bolivienne où demeurent les trois quarts de la population aymara totale. Il s’agit

surtout d’une population rurale et paysanne dont les membres vivent aussi au Chili et au

Pérou.


Ces populations considèrent la déesse Pachamama comme la régente de tout ce qui se

trouve à la fois sur mais aussi sous la Terre. C’est d’ailleurs de là que la déesse tire son nom.

La déesse est considérée double, dotée de deux personnalités. Selon qu’elle ait reçu son dû

ou non, elle se trouve être généreuse et fertile ou a contrario, vindicative. Dans les langues

aymara et quechua, le terme pacha recouvre plusieurs concepts qui sont notamment la

terre et l’univers tandis que celui de mama désigne la mère. En ce sens, la culture inca est

basée sur la dualité entre les notions d’espace et de temps tout en ne faisant pas de

distinction entre la sphère physique et celle spirituelle.

Si son aura diminue après les conquêtes espagnoles, ces derniers lui substituant le culte

catholique et la Vierge Marie, elle conserve pour autant un rôle central dans les cultures

andines. Ainsi, encore aujourd’hui, certaines communautés indigènes continuent d’organiser

des Challa ou Pago. Il s’agit d’offrandes, principalement des bonbons, des fleurs, d’alcool et

de feuilles de coca, brûlées puis enterrées au cours d’une cérémonie se déroulant au mois

d’août et qui vise à s’assurer une bonne récolte. Durant le carnaval, une autre cérémonie a

lieu pour remercier la Terre pour l’ensemble de ce qu’elle a accordé durant l’année écoulée.


Aujourd’hui, plus encore qu’une déesse, la Pachamama désigne aussi une relation à la Terre,

une manière de vivre ainsi qu’une vision politique dont les représentants des populations

indigènes considèrent qu’elle n’est que trop souvent trahie par les partis de gauche en

Amérique du Sud. Un ancien ministre de l’Énergie sous Correa, Alberto Acosta, a ainsi

déclaré « Pour les populations autochtones, la Pachamama n’est pas une simple métaphore,

contrairement à ce qui se passe dans le monde occidental. Les indigènes identifient la Terre à

une mère. Ils entretiennent une relation très étroite avec elle ».



La vague rose : de l’espoir indigène au désenchantement


Tandis que la gauche remporte peu à peu l’ensemble des élections d’Amérique latine, les

populations indigènes commencent à être habitées par l’espoir que leurs territoires soient

préservés et non plus considérés comme des terres à exploiter pour leur sous-sol. Pour

exemple, la Bolivie est traversée en 2003 par de très fortes manifestations visant à

nationaliser les réserves de gaz naturel. Marquées par la chute du gouvernement, ces

manifestations continuent d’installer Evo Morales, alors futur président, comme le meilleur

opposant.


Finalement élu à la Présidence en 2005, son arrivée au pouvoir symbolise l’espoir des

membres des populations indigènes : la veille de sa prestation de serment devant le Congrès

bolivien, il est intronisé par des représentants de ces populations à Tiwanaku. Le MAS et Evo

Morales sont même allés plus loin puisqu’en 2011, la loi dite Pachamama a donné à ce

concept une valeur légale. Ainsi, son article 5 dispose que la Pachamama, comme toutes ses

composantes, a un statut légal d’intérêt général tandis que l’article 7 dispose de sept droits

pour la Pachamama tels que celui de ne pas subir la pollution ou de permettre la

restauration de son système vivant.


Néanmoins, la réalité économique a rapidement rattrapé le premier président indigène

d’Amérique du Sud. Evo Morales a ainsi été accusé par les associations indigènes de

renforcer les exploitations de ressources naturelles.


In fine, l’arrivée du Mouvement vers le Socialisme au pouvoir, le parti d’Evo Morales et du

président actuel Luis Arce, aurait modifié le prisme idéologique et la perception des

extractions et des exploitations des ressources naturelles du pays. Les coûts sociaux et

environnementaux de celles-ci n’ont pas disparu mais la vision et le discours politique

accolés ont évolué. Le socialisme aurait offert une justification à la pollution

environnementale puisqu’elle permet de renforcer les ressources financières du pays afin

d’aider les populations précaires.

Un autre exemple, s’il en fallait, est celui de la réforme du code minier bolivien entamée en

2014 qui permet aux entreprises minières d’utiliser l’eau publique pour des opérations

polluantes et nocives, sans contrepartie pour la population.


La Bolivie n’est pas un cas unique. Son voisin brésilien, pourtant gouverné par la gauche de

2003 à 2016 est ainsi l’un des premiers producteurs de soja OGM. Outre cela, un chiffre est

tout aussi parlant : en 2011, le volume de l’extraction de minerais au Brésil était supérieur au

double du volume de minéraux extraits dans l’ensemble des autres pays d’Amérique du

Sud…


Les populations indigènes et leurs représentants ont en outre été confrontés à de larges

mouvements de répressions, à rebours des discours tenus… Les exemples sont ainsi

nombreux de militants indigènes arrêtés au Pérou, pour ne citer qu’eux, à la suite de leur

lutte contre l’industrie minière sous la présidence d’Ollanta Humala (2011-2016). En effet,

l’industrie minière péruvienne a alors connu une très forte expansion qui a multiplié les

conflits avec les populations indigènes luttant pour l’accès à l’eau et la préservation de leur

terre.


Le même phénomène s’est aussi produit en Équateur durant les mandats présidentiels de

Rafael Correa (2007-2017) où des militants indigènes ont été mis en prison pour s’être

opposés à la conduite d’extractions de ressources naturelles. De plus, même si le président

équatorien avait promis de ne pas exploiter les sous-sols si les pays riches compensaient le

manque à gagner, l’opération s’est révélée être un échec. La Bolivie d’Evo Morales a été

confrontée à des dynamiques similaires. Ainsi, l’opposition au projet de construction d’une

grande autoroute en plein cœur d’un parc national, et qui plus est sur des terres indigènes, a

débouché sur une forte répression causant plus de 70 blessés.


De déesse Terre à idéal politique dévoyé, si la Pachamama a offert durant longtemps une

illusion écologique aux admirateurs des gauches sud-américaines, la réalité semble plus

ambivalente tant la position des populations indigènes est mise à mal et le respect de leur

héritage n’est pas, encore aujourd’hui, assuré…


Nathan ALBERT

57 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page