Entre héritages africains, amérindiens, européens et ses nouvelles vagues migratoires, le Brésil est un pays à la diversité ethnique et religieuse indéniable. Si la grande majorité de la population est chrétienne, les cultes afro-brésiliens s’imposent tout de même dans la société, notamment le candomblé. Issues d’un syncrétisme religieux corrélé à l'histoire de la traite des Noirs, ces religions sont aujourd’hui intégrées dans le paysage social brésilien, bien que certaines discriminations persistent.
Focus sur un culte : le candomblé
Le candomblé est une religion monothéiste, avec un unique Dieu et plusieurs divinités à son service, descendant d’un syncrétisme religieux avec le christianisme. C’est une spiritualité importée d’Afrique ; particulièrement importée dans l’Etat de Bahia, entre 1549 et 1888, un lieu majeur dans la traite des Noirs au Brésil, là où les navires amenaient les esclaves d’Afrique pour travailler dans les exploitations des colons portugais.
Leurs cultes ont longtemps été condamnés par les colons et l’Eglise ; le candomblé représentait un axe de solidarité, faisant émerger une force commune de soutien entre les esclaves, qui pouvait représenter un danger pour la domination coloniale, mais représentait aussi une forme de sorcellerie selon l’Eglise. Ainsi, les esclaves pratiquaient leurs rites secrètement, ou sous un faux culte des saints chrétiens. Ces derniers ont alors trouvé toutes sortes de stratégies pour pouvoir pratiquer leurs cultes, notamment en donnant des noms et apparences catholiques à leurs divinités africaines. Cependant, les autorités ne trouvaient pas d’intérêt à réprimer ces cultes de manière trop violente, car le développement économique du Brésil dépendait en partie du rendement des propriétés des colons, maintenus par les esclaves. Ainsi, plus tard dans les années 60 à 70, le candomblé demeure interdit par l’Eglise, mais progresse petit à petit dans la société. Aujourd’hui, ce culte est officiellement autorisé, et certains lieux de cultes perçoivent même une subvention gouvernementale. Les cérémonies doivent être enregistrées dans l’Association des cultures Afro-Brésiliennes afin que les autorités puissent contrôler cette pratique religieuse et développer le tourisme et la diffusion de ce culte.
Le culte trouve alors son épicentre dans le Nordeste et surtout à Salvador de Bahia, en ayant profondément imprégné la culture populaire bahianaise. L’on retrouve notamment lors du carnaval de Bahia, des chars de musique (blocos) faisant écho à des lieux de culte du candomblé (terreiros), et des chants et danses faisant référence à ces rituels. De plus, l’une des spécialités afro-brésiliennes majeures de l’état de Bahia est l’acarajé, nourriture sacrée et offrande dans le culte candomblé.
Les Orixás, divinités du candomblé
Les divinités de la religion du candomblé sont nommées Orixás, divinités totémiques, chacune reliées à un élément naturel : la terre, la mer, le feu, la foudre, l’air, etc. Mais aussi à une couleur, un objet, un symbole… Chaque individu serait choisi par un Orixá protecteur dès la naissance, et c’est lors d’une cérémonie que l’Orixá est identifié par un prêtre. Ces divinités changent de nom selon leur pays d’origine et chaque nation d’origine du candomblé possède sa propre divinité, « Dieu de la nation ». Il existerait en tout, dans chaque nation, plus d’une centaine de divinités, mais dans les grandes villes brésiliennes, ce sont seize divinités qui sont principalement honorées.
Les cérémonies sont très festives et se déroulent à travers des incantations, des offrandes, chants, et danses (notamment la capoeira qui en est influencée) pour les divinités. De grandes fêtes sont ainsi organisées et les pratiquants invitent chacun à leur tour les Orixás à les rejoindre, en les accueillant avec des offrandes spécifiques aux divinités et leurs préférences, qui sont lors de ces cérémonies chacune a dona da festa (la patronne de la fête). De par l’héritage, les divinités sont aujourd’hui encore associés à des noms de saints chrétiens.
Exemple d’Orixá | Saint chez les catholiques | Rôle |
Ogum | Saint Antoine | Dieu de l’agriculture, de la guerre et de la chasse |
Omulu | Saint Lazare | Dieu de la terre, de la santé et de la maladie |
Iansã | Sainte Barbe | Déesse des tempêtes et des vents |
Oxossi | Saint Sébastien | Dieu de la chasse, des animaux, de l’alimentation et de l’abondance |
Xangô | Saint Jean-Baptiste | Dieu du feu, de la foudre, du tonnerre et de la justice |
Oxala | Jésus | Dieu de la vie et de la paix |
Oxum | Nossa Senhora das Candeias | Déesse des eaux de rivières et de la beauté |
Iemanja | Notre-dame du Rosaire | Déesse de la mer, de la pêche, des enfants et des familles |
Les terreiros, maisons du candomblé
Les cultes se déroulent dans des lieux nommés terreiros. De nombreux lieux de cultes existent dans tout le Brésil, mais c’est à Salvador de Bahia que l’on en retrouve le plus (1165, d’apres le Centre d’Etudes Afro-orientales de l’Université de Salvador de Bahia). Comme énoncé précédemment, les Orixás sont invités à entrer dans ces lieux grâce aux chants, aux danses mais aussi aux herbes et à la nourriture lors des cérémonies. Ces cérémonies se déroulent en plusieurs étapes particulières, notamment : l’appel des divinités, la danse des divinités et les tambourinaires.
Le candomblé connaît aussi une hiérarchie au sein de ses terreiros :
Nom | Rôle |
Babalorixa/Lalorixa | A la tête du terreiro, il est le seul à pouvoir prendre des décisions. Il s’agit du rôle le plus élevé dans la hiérarchie. |
Baba-quequerê/laquequerê | C’est le responsable des offrandes. |
Iabassê/Agibonâ | Le Iabassê n’a pas encore été reconnu « filho-de-santo » et est chargé des préparations culinaires. L’Agibonâ a été reconnu et s’occupe des futurs filhos-de-santo. |
Ebîmo | Après sept ans à porter du blanc, manger avec les mains et s’asseoir uniquement au sol, ce titre est accordé aux filhos-de-santo. |
Iaô | Lorsque le pratiquant entre en transe, si son Orixá est identifié par le Babalorixa, il devient filho-de-santo puis Agibonâ, sinon il devient Iabassê. |
Abiâ | Ce sont les novices. |
La spiritualité au rythme des tambours
Au rythme des tambours, les corps vibrent et la transe se met en place. Représentations du monde sacré, la musique et la danse permettent alors de se connecter au divin, et demeurent essentielles pour établir des liens entre la sphère tangible et la sphère spirituelle. Les premières paroles lors de la cérémonie sont d’une grande importance car elles introduisent le rite en expliquant son déroulement. La cérémonie publique peut aussi être désignée par le terme toque, se référant au jeu des tambours et à son rythme, et au couple cantigas - toques (chants et rythmes). Ces tambours ont un langage, fala dos atabaques (langage des tambours), attirant les Orixás. Afin d’atteindre une place importante dans la hiérarchie religieuse, il convient de connaître de manière approfondie les chants et rythmes des rites, témoignant de l’importance de la musicalité dans cette religion.
De plus, il existe plusieurs candomblés, originaires de plusieurs pays d’Afrique d’où venaient les esclaves, avec des musicalités différentes : l’on retrouve, par exemple, le candomblé Ketu de l’ethnie Yoruba se jouant sur trois tambours avec des baguettes, ou encore le candomblé Angola se jouant à mains nues.
Ainsi, la pratique musicale occupe une place centrale dans le candomblé ; c’est une glorification du divin profondément ancrée et participant activement à la transe, réduisant d’une certaine façon la limite entre le monde sacré et le monde matériel.
Pour finir, le candomblé est une religion de plus en plus diffusée dans la population brésilienne, notamment à travers des mutations spirituelles au sein des sociétés et l’émergence de nouveaux courants, comme le courant New Age qui entremêle plusieurs croyances. La divination par les mães-de-santo est par ailleurs l’un des vecteurs de cette diffusion. Le désir de connaître son avenir ou son Orixá représente un mysticisme présent dans tous les milieux sociaux du Brésil, intriguant toutes sortes de populations. Gisèle Cossard, ancienne résistante française et anthropologue, fut elle-même attirée par cette religion et devint prêtresse dans l'État de Rio de Janeiro. Cependant, cela n’empêche pas une intolérance toujours persistante à l’encontre des religions afro-brésiliennes, sujet que la femme de lettres a pu aborder dans certains de ses écrits.
Pour en savoir plus : Gisele Omindarewa est un documentaire dirigé par Clarice Ehlers Peixoto (Brésil, 2009)
- Helena Erin
Sources
De Aquino, P. (2011). Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias. Le Temps des médias, 17, 100-110. https://doi.org/10.3917/tdm.017.0100
De Oliveira Pinto, T. (1992) « La musique dans le rite et la musique comme rite dans le candomblé brésilien », Cahiers d’ethnomusicologie. 53-70 http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/2428
Prandi, R. (2000). African Gods in Contemporary Brazil: A Sociological Introduction to Candomblé Today. International Sociology, 15(4), 641–663. https://doi.org/10.1177/0268580900015004005
Capone, S. (2002). Le candomblé au Brésil, ou l’Afrique réinventée. Dans : Nicolas Journet éd., La culture: De l'universel au particulier (pp. 233-239). Auxerre: Éditions Sciences Humaines. https://doi.org/10.3917/sh.journ.2002.01.0233"
GUIMARÃES, R.-H. (2009). Sincretismos Religiosos Brasileiros.
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