Devenue le symbole de la destruction de la nature et de l’exploitation économique injuste et dévastatrice des ressources naturelles, l’Amazonie n’est pas au bout de ses peines. Aux multiples enjeux auxquels la région est confrontée, vient s’ajouter l’inconscience écologique du nouveau président élu Jair Bolsonaro qui semble, dans une triste confusion, allier exploitation et protection de l’environnement.
Fort de son soutien par les élites économiques du pays (industriels, grands propriétaires fonciers, fabricants d’armes etc), l’ancien militaire entend accroitre l’exploitation des ressources naturelles au profit de l’expansion économique du Brésil, passée au rang de huitième puissance mondiale en 2018.
Le programme de Jair Bolsonaro pour l’environnement ne présage rien de bon, ni pour l’Amazonie, ni pour le monde entier.
En cette période de crise écologique mondiale qu’a récemment rappelé la publication du rapport 2018 de la GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), le manque de considération du nouveau président pour l’environnement tournerait presque la question de l’écologie en ridicule, mais c’est le serpent qui se mord la queue.
Ces dernières années la question environnementale prend une place croissante au sein du débat public et, de plus en plus, les politiques mondiales tentent de s’orienter dans une logique de développement durable en prenant en compte les impacts environnementaux. Mais le nouveau président du Brésil fait peu de cas de l’écologie, et n’envisage pas le développement économique de son pays avec la préservation de l’environnement. Ainsi J. Bolsonaro prévoit de réduire le pouvoir de certaines agences publiques environnementales telles que l’Ibama (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables) pour faciliter l’obtention de permis de construire, et donc de défricher, permettant notamment la construction de barrages hydro-électriques. Il entend aussi a fortiori assouplir les législations sur la construction d’infrastructures et sur l’utilisation des pesticides, et mettre fin aux réserves de populations indigènes qui seraient un frein au développement du pays, en ouvrant par la même occasion l’exploitation minière de leurs territoires. Si le président est revenu sur sa volonté de sortir de l’Accord de Paris et de fusionner les ministères de l’agriculture et de l’environnement, Ricardo de Aquino Salles, son ministre de l’environnement, n’en demeure pas moins un avocat pro-entreprise et son ministre des affaires étrangères un climato-sceptique.
À la fois conservateur et admiratif des Etats-Unis et de son président, il est peu surprenant que l’idéologie qui gouverne le projet environnemental de Bolsonaro pour le Brésil soit proche de celle des années 1960, d’un gouvernement militaire qui voulait intégrer l’Amazonie à l’espace économique mondial par des politiques de désenclavement et de colonisation lourdes.
Ce projet avait comme ligne de mire de faire du Brésil une superpuissance du 21ème siècle, tout comme les Etats-Unis qui, partis à la conquête de leurs frontières, s’étaient imposés rapidement en première puissance mondiale.
Avec ces politiques l’État brésilien est devenu le premier vrai responsable du défrichement de la forêt amazonienne. Mais à l’époque les contestations écologiques étaient faibles (.) Le projet permettait de faire converger les intérêts de différents groupes sociaux en servant à la fois les intérêts politiques, mais aussi économique (entreprises minières, construction publique, banques, exploitants de bois, grands éleveurs par exemple) et sociaux au travers d’une création massive d’emplois, du
développement du commerce et de l’élevage bovin. Autant d’avantages qui ouvraient une possibilité d’ascension dans les zones rurales, que ce développement économique faisait vivre.
Jusque dans les années 1970 cette démagogie qui mettait l’accent sur les opportunités que pouvaient offrir une telle exploitation n’a fait émerger que quelques contestations des sociétés indigènes, qui dénonçaient l’exploitation de leurs terres par le « grand capitalisme ». Un peu plus tard, en 1974 avec le changement de gouvernement est survenue la dénonciation d’une agriculture prédatrice et du pillage des ressources.
À partir de 1985, la fin du régime militaire ouvrant la voie de la démocratie, la question écologique a pris une place de plus en plus importante dans le débat public. Les ONG et contacts avec des organisations internationales se sont multipliés, la problématique du déboisement s’est inscrite à l’agenda des grands forums internationaux et des programmes d’aide à la protection de l’environnement se sont mis en place. Mais la critique d’une ingérence internationale sur le territoire brésilien a émergé au sein du corps militaire qui a maintenu une hégémonie sur la gestion de l’Amazonie, un moyen d’assurer la souveraineté sur cette région.
Alors que le défrichement a continué à se poursuivre, l’Amazonie doit faire face à des enjeux multiples et complexes, entre les objectifs visés par le gouvernement, les contestations militaires, la défense de l’environnement, la protection des populations indigènes, accusées pour certaines de participer au défrichement des forêts.
Si les politiques de désenclavement et de colonisation ont massivement contribué au défrichement de la forêt, aujourd’hui l’élevage bovin en est la première activité responsable, requérant un déboisement massif pour y mettre le bétail. L’agriculture intensive est aussi en cause : celle bien connue du soja qui se fait au détriment de la zone du Cerrado, mais aussi celles de café, de cacao, d’hévéa et de palmier. La déforestation par abattage et par brûlis génère des incendies mal maitrisés qui libèrent des quantités effroyables de CO2 dans l’atmosphère.
L’Amazonie est la plus grande réserve de biodiversité de la planète s’étendant sur plus de 5,8 millions de kilomètres carrés, elle abrite plus que tout autre écosystème terrestre un grand nombre d’espèces, de plantes et d’animaux. Ses forêts humides et ses rivières alimentent une grande partie de l’Amérique du Sud et ses centaines de milliers d’arbres stockent de gigantesques quantités de carbone.
Alors que l’intégration de la problématique environnementale au sein des politiques commerciales et du développement économique entame une dynamique à l’échelle mondiale, l’importance de ce sujet demande un engagement de tous les États sans exception. Le développement de la région met en jeu de manière complexe les intérêts de différents acteurs et groupes, le conflit qui pèse sur sa gestion ne résulte pas uniquement d’une opposition entre gouvernement et écologistes.
L’immensité de l’Amazonie ne fait que retarder sa date de péremption, et avec elle celle de tout un écosystème : le comportement rétrospectif du président conservateur traduit un grave manquement à des responsabilités au minimum attendues d’un chef d’État.
Gaëlle Pécresse
Comments