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LE BRÉSIL COUPÉ EN DEUX

Après la première puissance d’Amérique du Nord, celle du Sud pourrait bien à son tour basculer dans un populisme ultra-conservateur.

Le dimanche 7 octobre, lors du premier tour des présidentielles, le leader d’extrême-droite issu du Parti social-libéral (PSL) Jaïr Bolsonaro s’est imposé face à son principal opposant représentant le Parti travailliste (PT), Fernando Haddad. Bolsonaro rassemble 46% des voix tandis que Haddad, fidèle de Lula, peine à obtenir 29%.


Les Brésiliens ont profité de ces premières élections présidentielles depuis la destitution de Dilma Rousseff en 2016 pour exprimer leur colère et leur lassitude. Vote de rejet donc, que l’on nomme là-bas « saco cheio ». Rejet de la classe politique après les scandales de corruption qui ont concerné tous les partis. Rejet du Parti Travailliste qui, au pouvoir depuis douze ans, ne semble visiblement plus convaincre un électorat en quête d’alternance.

La cartographie du vote est éloquente : les deux tiers du vote Bolsonaro est concentré dans le sud du Brésil, autour des grandes métropoles que sont Rio de Janeiro et Sao Paulo. Autrement dit, si le Nord pauvre est resté relativement fidèle au parti de Lula, les classes moyennes du pays ont massivement voté pour la sécurité et l’honnêteté.

La situation économique n’a rien arrangé. Sortie en 2017 de deux années de récession, au prix d’une politique de réformes douloureuses mais impopulaires conduites par le président intérimaire Michel Temer, l’économie brésilienne est encore loin d’avoir retrouvé ses niveaux de croissance d’avant crise. Malgré une baisse depuis le mois d’avril, le taux de chômage reste élevé et l’insécurité règne dans ce pays gangréné par la formation de gangs et de milices dans les zones populaires.


Le Brésil est en crise politique et sociale et les Brésiliens fatigués et inquiets de ne pas voir émerger de solutions « concrètes ». Peur et lassitude qui animent une nostalgie conservatrice au sein de l’électorat national, et une volonté de se raccrocher à des valeurs passéistes qui se veulent sans doute rassurantes.

Elles font la force du PSL et de son meneur qui apparaît comme le candidat « hors système ». Très provocateur, Jaïr Bolsonaro s’est surtout fait remarquer pour ses propos homophobes et misogynes qui ont donné lieu à d’importants mouvements de mobilisation des femmes pendant la campagne.

Le candidat a mené sa campagne sur la haine anti-PT et sur le scandale pour gagner des voix et faire parler de lui. Peu visible à la télévision, Jaïr Bolsonaro a usé massivement des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et What’s App pour communiquer avec ses potentiels électeurs, un moyen aussi de s’adresser directement à eux, renforçant ainsi son image de candidat proche du peuple.


Sa personnalité semble convaincre mais son programme est encore flou. Ancien capitaine de l’armée de Terre, Bolsonaro est un fervent défenseur des militaires : il promet de revenir sur la loi de désarmement qui a pourtant permis de limiter la hausse des homicides, veut amnistier les crimes commis par la police et abaisser la majorité pénale à 16 ans. Le leader du PSL est aussi un nostalgique de la dictature.

Un peu méprisant envers les institutions, il donne peu d’importance à l’éducation et à la culture. La cause environnementale ne semble pas le concerner puisque le candidat prévoit de sortir de l’Accord de Paris sur le climat et de placer le ministère de l’environnement sous-tutelle de celui de l’agriculture… C’est à se demander si cet homme, prétendant à la présidence du Brésil, est animé par autre chose que son ambition folle et sa soif de pouvoir.

Sur le plan économique, Bolsonaro a pu rallier les investisseurs en plaçant à ses côtés l’ancien banquier Paulo Guedes. Ce dernier entend mener une politique économique libérale avec la mise en place d’une retraite par capitalisation, le recul de la place de l’État dans l’économie ou une forte hausse des privatisations d’entreprises pour redresser les finances publiques.


Face à lui au second tour, Fernando Haddad représente une gauche plus modérée.

L’ex-maire de Sao Paulo est devenu le candidat du PT suite à l’invalidation par le Tribunal supérieur électoral de la candidature de Lula, condamné pour corruption. Si Lula recueillait 40% des voix avant son arrestation, Haddad n’a pas pu conserver intacte l’électorat de son mentor. Sa campagne, menée sous l’effigie de l’ancien président, lui a permis de monter dans les sondages mais l’a privé des votes d’une grande partie de la population lassée de la politique de son parti.

Quoi qu’il en soit il reste le dernier rempart à un gouvernement d’extrême-droite.


La campagne du second tour sera déterminante pour l’avenir de la toute jeune démocratie brésilienne. Fernando Haddad pourra profiter d’une médiatisation télévisée pour mettre en avant un programme relativement plus solide que celui de son adversaire. Pour espérer monter dans les sondages, le candidat du PT devra aussi insister sur l’importance d’un régime démocratique et libéral et recevoir le soutien des autres partis. Jaïr Bolsonaro risque, lui, d’être pénalisé par son programme qu’il devra expliciter. Mais une chose est sûre : c’est un pays profondément fracturé, coupé en deux, qui sortira de cette élection présidentielle.


Gaëlle Pécresse

Jaïr Bolsonaro, candidat du PSL s'étant placé en tête lors du premier tour des présidentielles (46%)



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