Les Chiliens manifestent leur joie après le référendum de 2020 approuvant le principe d'une nouvelle constitution (Crédits : R. Garrido/Reuters)
Les mois à venir pour les Chiliens s’annoncent décisifs. Ils vont clôturer un moment politique qui a commencé le 7 octobre 2019 à Santiago. Initialement organisé pour protester contre la hausse du prix du ticket de métro décidée début octobre, le mouvement protestataire s’est rapidement étendu à l’ensemble du pays afin de s’opposer au Président Sebastián Piñera, élu pour un deuxième mandat en 2017, avant de remettre en cause l’héritage de la dictature de Pinochet, encore visible dans la constitution chilienne aujourd’hui. Les Chiliens ont obtenu la tenue d’une Constituante dont les travaux sont en cours pour rédiger une nouvelle constitution pour le pays de Pablo Neruda.
L’héritage des années Pinochet n’est pas encore soldé au Chili
En septembre 1973, Augusto Pinochet organise un coup d’État contre le Président démocratiquement élu Salvador Allende. Ce dernier avait remporté les élections grâce au soutien d’une coalition de partis de gauche avec l’objectif de mettre en place une voie chilienne vers le socialisme. Avec le soutien en coulisses des États-Unis, Pinochet renverse le régime démocratique chilien. Les forces armées chiliennes tirent contre le Palais présidentiel le 11 septembre 1973 et Salvador Allende meurt le même jour. S’il y a eu des doutes quant au fait qu’il s’agissait bien d’un suicide, un tribunal chilien a confirmé en 2012 que l’ancien Président s’était suicidé, comme ses proches l’avaient expliqué.
A la suite du coup d’État, le Congrès est dissous par la junte militaire à l’instar des conseils municipaux ; les partis politiques – y compris ceux ayant soutenus le coup d’État – et syndicats sont interdits avant que la constitution ne soit suspendue. En outre, l’État d’urgence est instauré, un couvre-feu est mis en place tandis que la liberté de la presse est abolie. Toute forme de littérature reliée au socialisme est finalement interdite.
En 1988, Pinochet perd un référendum qui lui aurait permis de réaliser un nouveau mandat. Acceptant le résultat, il est contraint de quitter le pouvoir en 1990 avant que le Chili n’entame sa transition démocratique. Néanmoins, l’héritage de la période Pinochet n’est à date pas soldé, en témoigne les réactions lors du retour au Chili de Pinochet au Chili en 2000.
Des manifestations contre la vie chère et le legs du régime Pinochet
Les manifestations de 2019 sont d’abord causées par l’augmentation du tarif des tickets de métro à Santiago. Il s’agit alors de la deuxième augmentation de l’année et si elle n’est que de 4%, elle intervient dans un contexte où le coût des transports en commun à Santiago est important. Il représente ainsi 14% du salaire minimum chilien alors qu’il pèse moins de 10% du salaire minimum dans d’autres grandes villes du sous-continent telles que Buenos Aires, Mexico ou Lima. Plus largement, une majorité des travailleurs chiliens gagne moins de 500 euros par mois alors que le coût de la vie est parmi l’un des plus élevés d’Amérique du Sud.
Si le Gouvernement a accepté de ne pas augmenter le prix du ticket, les manifestations se sont néanmoins amplifiées et ont touché d’autres villes. Les revendications ont aussi changé puisque les manifestants ont réclamé le départ du Président ainsi que la remise en cause de la constitution héritée de l’ère Pinochet. Adoptée en 1980 et appliquée depuis lors, la constitution chilienne est basée sur une conception néolibérale de l’économie. Dans cette optique, de larges pans de l’économie sont privatisées, notamment la gestion des pensions de retraite ou l’accès à l’eau. En outre, le texte a été critiqué pour son manque de transparence. Par exemple, jusqu’en 2005, certains Sénateurs étaient désignés par des militaires.
Après avoir voulu répondre par la force, le Président se résout à modifier la constitution mais refuse encore de démissionner et de convoquer une assemblée constituante. Un référendum est finalement organisé le 25 octobre 2020. Près de 8 Chiliens sur 10 approuvent alors le principe d’une Assemblée constituante élue et chargée de rédiger une nouvelle constitution. A la suite du référendum, le Parlement octroie 17 sièges de droit aux représentants des populations indigènes et s’entend sur un principe de parité homme-femme.
Une Constituante au rôle clef dans la prise en compte de la diversité chilienne
Repoussées d’un mois à cause du Covid-19, les élections pour la Constituante se tiennent finalement en mai 2021. Si le parti arrivé en tête est de droite, les différents partis de gauche réussissent à remporter plus de la moitié des sièges.
L’Assemblée a tenu sa session inaugurale début juillet. Ses travaux de rédaction de la nouvelle constitution peuvent durer neuf mois et être prolongés d’une durée de trois mois. La Constitution devra alors être votée par les deux tiers de ses membres et sera ensuite soumise au vote par référendum, a priori en 2022.
Les travaux ont été perturbés par plusieurs affaires dont celle d’un candidat ayant été élu sur une liste civile après avoir manifesté en 2019 en soutien d’un système global de sécurité sociale et qui a avoué avoir menti sur le cancer dont il disait être malade. Il a par la suite annoncé refuser de siéger.
Malgré cela, et à l’approche des élections présidentielles, la Constituante a entamé la rédaction de la nouvelle constitution en octobre sous la présidence d’Elisa Loncón. Cette linguiste, membre du peuple indigène mapuche, est le symbole du poids qui pèse sur la Constituante.
Le cas des Mapuche, symbole de la situation des populations indigènes au Chili
Les Mapuche, qui signifie peuple de la Terre en mapuche, sont un peuple indigène entre l’Argentine et le Chili. A l’extrême majorité au Chili – dont ils représentent près de 10% de la population totale et 80% de la population indigène –, ils sont environ deux millions au total.
Malgré la présence des populations indigènes au sein de l’Assemblée constituante et l’élection à sa tête d’une Mapuche, un grand nombre d’entre eux sont encore aujourd’hui sceptiques quant à la prise en compte des problématiques indigènes ainsi que la défense de leurs droits dans la nouvelle constitution. Ainsi, les Mapuche essaient depuis des années de reconquérir leurs territoires exploités par des entreprises d’exploitations forestières. Ces entreprises sont accusées de planter des arbres, pour des raisons purement commerciales, qui remplacent l’écosystème existant. En outre, ces arbres – souvent des eucalyptus et des pins – entrainent une consommation excessive d’eau et réduisent les réserves des communautés indigènes.
Pour cette raison, Juan Pichun, leader de l’organisation mapuche radicale Coordinacion Arauco Malleco, considère que la nouvelle constitution ne sera pas en mesure de représenter les populations indigènes. Ces craintes sont d’ailleurs à l’origine de vagues répétées de violence ces dernières années, causant notamment la mort d’un manifestant le mois passé.
L’opportunité reste néanmoins historique pour le Chili de devenir, à l’image du voisin bolivien, un État plurinational. Cela serait, sur le papier, la promesse d’une meilleure représentation et prise en compte des populations indigènes.
Nathan Albert
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