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Les mouvements féministes au Chili

Le Chili est un pays connu pour ses mouvements féministes radicaux qui ont marqué, et marquent encore, l’histoire, et dont l’impact est international. Face à des violences et crimes machistes encore trop présents, les femmes se rassemblent et constituent un acteur essentiel du changement et des avancées du pays.


Plusieurs évènements importants sont à relever, dont la forte mobilisation féministe face à la dictature de Pinochet (1973-1990). Le coup d’Etat militaire provoque l’exil de nombreuses féministes, alliées au parti politique l’Union Populaire, torturées par les forces de l’ordre. Lors de leur retour, elles s’engagent et prennent part aux protestas. Elles sont appelées les retornadas. En 2006, Michelle Bachelet devient non seulement la première femme présidente du Chili mais aussi la première femme présidente d’Amérique du Sud. Sa victoire ne peut entièrement s’expliquer si l’on ne prend pas en compte les féministes chiliennes, qui manifestent leur soutien à la Concertation des parties pour la démocratie (rassemblement des partis du centre et de la gauche).


L’histoire des mouvements féministes chiliens connaît des pauses (« silences féministes » selon France culture). Une première pause a lieu après une série de victoires au milieu du XXème siècle, tel que l’obtention du droit de vote en 1949. Une deuxième pause a lieu à la suite de la dictature de Pinochet. Et c’est ainsi, à partir de 2010 que ces mouvements connaissent une nouvelle dynamique. Plusieurs mouvements étudiants voient le jour. En 2018, ils sont déclenchés par une accusation d’harcèlement sexuel d’une employée de la faculté de Valdivia contre un professeur. L’inaction de l’administration de l’université ainsi que celle du gouvernement entraîne la colère des féministes, qui descendent protester dans les rues et bloquent les universités, allant même sur le campus de l’Université Catholique. Peu de temps après, c’est au tour d’un professeur de la faculté de droit d’être accusé d’agressions sexuelles sur une étudiante. Sa suspension de trois mois n’est également pas suffisante pour les manifestantes, qui poursuivent leurs protestations. Leurs revendications sont claires : la mise en place d’un règlement strict dans les universités qui sanctionne toute violence sexuelle, la sensibilisation de la population aux problématiques sur les violences à l’encontre des femmes et de ces violences sexuelles et convenir d’une loi nationale qui protège les femmes même au-delà de leur lieu de travail.


Crédits photo : Claudio Reyes / AFP

Fin 2019, de grandes mobilisations d’origine sociale ont lieu dans le but de dénoncer l’augmentation des tarifs de transport en commun. Ces mobilisations s’élargissent et avec la participation des féministes, en viennent à toucher d’autres sujets plus divers, telle que la répression policière dont sont majoritairement victimes les femmes. Plusieurs cas de morts douteuses ont été mis à la lumière du jour, comme en témoigne celui de Daniela Carrasco. Artiste mime de rue âgée de 36 ans, surnommée « El Mimo », elle est retrouvée pendue à une grille de Santiago, après avoir été violée. Elle aurait été embarquée la veille par la police chilienne lors d’une manifestation. Toutefois, le doute règne encore sur cette affaire et rien ne prouve à l’heure actuelle la responsabilité de l’Etat dans la mort de l’artiste. Il est à noter que selon le Réseau chilien contre les violences à l’égard des femmes (Red chilena contra la violencia hacia las mujeres), près de 18 000 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées à l’encontre de la police en 2020.


Les actions des féministes chiliennes résonnent au niveau international. Le 25 novembre 2019, lors de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, elles décident de marquer le coup : le collectif LasTesis met au point une performance chantée et dansée. Il s’agit de la chanson « Un violeur sur ton chemin », dont le titre et les paroles parodient d’un hymne militaire « Un ami sur ton chemin ». L’impact ne se fait pas attendre, la chanson aux paroles poignantes est reprise aux Etats-Unis, en Espagne, France, Allemagne ou encore en Turquie « ce n’est pas ma faute, ni celle du lieu, ni celle de mes vêtements, le violeur c’était toi », « le violeur, c’est toi, ce sont les flics, les juges, l’Etat, le Président ». Cette action a par ailleurs débouché sur la création d’un nouveau parti politique féministe chilien : le Parti Alternatif Féministe (PAF).


Nous pouvons relever à travers l’exemple de la chanson « Un violeur sur ton chemin », érigée en véritable hymne féministe, la dénonciation non seulement des autorités mais plus généralement du gouvernement. Celui-ci est à l’origine de nombreuses polémiques, accusé d’avoir violé les droits humains à plusieurs reprises. Début 2020, le discours prononcé par le président chilien Sebastián Piñera lors de la promulgation de la « loi Gabriela », sur les féminicides, est mal accueilli. Pour cause : des propos ambigus qui laisseraient sous-entendre que les femmes détiennent une part de responsabilité dans les violences qu’elles subissent : « Parfois, il n’y a pas seulement la volonté des hommes de maltraiter (des femmes), mais aussi la position des femmes d’être maltraitées ». Selon un rapport du Réseau chilien contre les violences à l’égard des femmes, on comptabiliserait 63 féminicides au Chili en 2020.


A l’issue de ces grands mouvements, en octobre 2020, le gouvernement chilien propose un référendum sur un changement de Constitution.


Cependant, malgré l’unité apparente entre les femmes chiliennes, de nombreuses questions et débats tiraillent et séparent nombre d’entre elles depuis le début de ces mouvements. Deux grands groupes se distinguent : les « autonomes » et les « institutionnelles ». Alors que les « autonomes » sont contre toute participation à la vie politique, les « individuelles » s’y montrent favorables. Au lendemain de la dictature de Pinochet, elles se rallient à la Coalition (parti politique de gauche et centre gauche) qui reste au pouvoir jusqu’en 2010. De plus, leur radicalité dérange une grande partie de la société chilienne, encore largement imprégnée par la religion catholique : certaines protestent partiellement dénudées, des slogans et dessins peints sur leur corps. Ainsi, si l’Eglise a su apporter son soutien à certains groupes féministes, tel que le Cercle d’étude de la femme, elle finit par se rétracter bien vite dans le Chili post-dictature, notamment concernant les problématiques de la contraception et de l’avortement. A ce sujet, l’avortement est partiellement dépénalisé par la loi chilienne. Il est autorisé uniquement si la mère y risque sa vie, si elle est victime de viol ou encore si le fœtus est non viable. Cependant, le pays semblerait suivre la voie de l’Argentine, ayant officiellement légalisé l’avortement en décembre 2020. En effet, le Chili a examiné le 13 janvier 2021 une proposition de loi visant à légaliser l’IVG jusqu’à 14 semaines. Cette lutte est symbolisée dans les manifestations chiliennes par un bandeau vert, emprunté aux féministes argentines.


Le combat mené au Chili à l’encontre des violences faites aux femmes est de longue date. L’importante mobilisation des femmes, qui s’est amplifié depuis ces dernières années, laisse espérer de rapides changements.



Laure Beziz

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